Chapitre 2 - Les secrets de la Funeste Demeure

La bataille contre l'armure animée résonne encore dans leurs oreilles quand nos quatre héros gravissent l'escalier menant vers les étages supérieurs de la sinistre demeure. Korven, bien que blessé par l'affrontement, refuse de ralentir le groupe. Les mystères de cette maison maudite ne cessent de s'approfondir, et le temps presse pour sauver l'enfant mentionné par Rose et Epine.

Le contraste frappe immédiatement nos aventuriers. Là où les étages inférieurs respiraient l'opulence entretenue, ce niveau baigne dans l'abandon. Une épaisse couche de poussière recouvre chaque surface, et des toiles d'araignée drapent les angles comme de sinistres tentures. L'air lui-même semble figé, chargé de l'humidité des années et du parfum douceâtre de la décrépitude.

Korven et Cassius se tiennent sur le palier principal, scrutant les ombres qui dansent dans la lumière vacillante de leurs torches. Marcus explore méthodiquement une remise adjacente, tandis que Gilda s'aventure vers le sud, dans une chambre qui révèle des secrets bien plus troublants que de simples meubles abandonnés.

La pièce qu'elle découvre semble avoir été élégamment meublée autrefois. Un grand lit à baldaquin trône au centre, flanqué de petites tables de nuit sculptées. Mais c'est la présence qui se tient près de la fenêtre qui retient son attention — et fait battre son cœur plus vite.

Une femme en grande tenue noire se tient immobile près d'un berceau de bois sombre. Ses vêtements austères de gouvernante contrastent avec l'étrangeté de sa présence. Quand Gilda observe plus attentivement, un frisson parcourt son échine : le bas de la robe de la femme semble se dissoudre dans l'air, flottant comme de la brume à quelques centimètres du sol.

La créature — car c'en est une, comprend immédiatement Gilda — se tourne vers elle avec un sourire qui ne parvient pas à masquer la tristesse infinie de ses yeux.

« S'il vous plaît, ne faites pas de bruit », murmure-t-elle d'une voix qui semble venir d'outre-tombe. « Vous allez réveiller mon enfant. »

Gilda, malgré son trouble, trouve les mots pour répondre avec diplomatie. « Ce n'était pas notre intention. Nous sommes venus dans cette maison car des enfants nous ont dit qu'il y avait un monstre au sous-sol et qu'il fallait sauver leur petit frère au deuxième étage. »

Le visage spectral de la gouvernante s'anime d'une expression confuse. « Vous parlez peut-être de Rose et Épine ? Ils ne sont pas ici, ils dorment... à l'étage au-dessus. »

Cette révélation trouble profondément Gilda. Il n'y a pas d'étage au-dessus — du moins, pas d'escalier visible. Mais la gouvernante insiste avec l'assurance de celle qui connaît chaque recoin de cette demeure.

« Il y a un étage là-dessus », répète le spectre. « Rose et Épine y dorment. »

Lorsque Gilda interroge la gouvernante sur le maître de maison, les réponses deviennent plus troublantes encore. L'homme serait au sous-sol, luttant contre le monstre. Mais quand Gilda demande son âge, la créature répond avec l'innocence troublante d'une jeune femme : « J'ai vingt ans à peu près. »

Gilda, troublée par ces révélations contradictoires, tente d'en apprendre davantage sur cette mystérieuse gouvernante. « Comment vous appelez-vous ? »

« Erika », répond le spectre avec simplicité.

« Et le maître de maison... où est-il exactement ? »

Le visage d'Erika s'assombrit, et ses traits prennent une expression de culpabilité mêlée de douleur. « Il est au sous-sol, à lutter contre le monstre. Mais... » Sa voix se brise légèrement. « Il m'a dit que je n'avais pas le droit de garder l'enfant. »

Gilda fronce les sourcils. « Quel enfant ? »

« Mon enfant », murmure Erika en regardant le berceau avec une tendresse déchirante. « Je ne devrais pas l'avoir, si cela se sait, il le tuera. Le maître de maison m'a dit que c'était interdit, que cela risquait son mariage. »

La vérité commence à se dessiner dans l'esprit de Gilda. Cette pauvre gouvernante a eu une liaison avec son employeur, et en a payé le prix ultime. L'enfant dans le berceau — s'il existe vraiment — est le fruit de cette relation clandestine qui a coûté la vie à Erika.

« Depuis combien de temps êtes-vous ici ? » demande doucement Gilda.

« Très longtemps », répond Erika avec l'incertitude de celle qui a perdu toute notion du temps. « J'y suis depuis très longtemps. »

Le berceau reste obstinément silencieux, recouvert d'un tissu noir opaque qui empêche d'y voir l'intérieur. Quelque chose dans cette scène ne colle pas, et Gilda le sent au plus profond de ses entrailles.

Tandis que se déroule cette conversation surréelle, Marcus explore les autres recoins de l'étage. Ses mains expertes de moine passent sur les surfaces, cherchant les indices que pourraient dissimuler les apparences.

C'est en examinant un miroir en pied au cadre ouvragé qu'il fait une découverte capitale. Ce qui semblait être de simples dorures révèle, sous ses doigts attentifs, une multitude d'yeux gravés dans le métal. Ces regards sculptés paraissent observer quiconque s'approche, et leur présence donne à Marcus la sensation désagréable d'être épié.

En pressant certains points du cadre, Marcus entend un déclic familier. Le miroir pivote, révélant l'entrée d'un passage secret. Au-delà s'élève un escalier de pierre qui monte vers les ténèbres.

« J'ai trouvé un passage », annonce-t-il à ses compagnons. « Il semble mener vers un étage supérieur. »

La révélation confirme les dires de la gouvernante fantôme, mais soulève de nouvelles questions. Pourquoi cet étage est-il dissimulé ? Que cache-t-il que les propriétaires voulaient garder secret ?

Le groupe décide d'attendre que Korven récupère de ses blessures avant de poursuivre l'exploration. Une méditation d'une heure dans cette atmosphère oppressante permet au guerrier de retrouver une partie de ses forces, tandis que ses compagnons fouillent méthodiquement le reste de l'étage.

Dans la chambre parentale, Cassius découvre une boîte à bijoux qui semble avoir échappé au délabrement général. À l'intérieur, trois anneaux d'or et un magnifique collier de platine orné d'un pendentif de topaze — des trésors d'une valeur considérable dans un monde moins maudit que celui-ci.

Mais c'est en gravissant l'escalier secret que nos héros font la découverte la plus bouleversante.

Le troisième étage révèle un couloir étroit envahi de poussière et de toiles d'araignées. Deux portes au nord, une au sud. Korven, toujours impatient de sauver les enfants en détresse, se dirige immédiatement vers la première porte verrouillée.

Ses oreilles exercées perçoivent des murmures et des sanglots étouffés. « Je vous entends », crie-t-il en frappant à la porte. Le silence qui répond à ses appels le pousse à une action plus drastique.

D'un coup d'épaule puissant, il défonce la porte.

Le spectacle qui s'offre à eux glace le sang dans leurs veines. Au centre de la pièce, deux petits squelettes gisent sur le sol poussiéreux, vêtus de hardes que nos héros reconnaissent immédiatement : ce sont les habits de Rose et Épine, les enfants qui les ont menés jusqu'ici.

Mais plus troublant encore, Rose et Épine eux-mêmes se tiennent debout près de leurs lits respectifs, regardant les intrus avec des yeux qui semblent ne jamais les avoir vus.

« Bonjour », dit Rose avec la voix claire d'une enfant vivante. « On nous a enfermés ici. On devait nous apporter à manger, et personne n'est monté. Vous êtes venus nous apporter à manger ? »

Gilda propose une ration, mais Épine, le petit garçon, hoche la tête. « On n'a plus faim, en fait. »

La vérité frappe nos héros comme un coup de massue. Ces enfants sont morts depuis longtemps, enfermés dans cette chambre jusqu'à ce que la faim et le désespoir les emportent. Leurs esprits, piégés dans cette demeure maudite, rejouent indéfiniment les derniers moments de leur existence.

Pendant la conversation, Rose montre du doigt vers un coin de la pièce. « Vous voyez, notre maison, elle est là. Nous, on aime bien jouer avec. »

Le regard de nos héros se tourne vers une magnifique maison de poupée, réplique parfaite de la sinistre demeure dans laquelle ils se trouvent. Même recouverte de toiles d'araignée, elle conserve des détails d'un réalisme saisissant. Près d'elle, une malle à jouets orne d'un moulin à vent peint sur les côtés témoigne des jeux passés.

Lorsque Cassisus examine attentivement la maquette, une révélation le frappe. « Cette maison... elle révèle des passages que nous n'avons pas encore trouvés. »

En effet, la maison de poupée dévoile l'architecture complète de la demeure, y compris des couloirs dissimulés et des escaliers secrets. Il peut voir qu'il existe un passage dans la pièce qui fait face à la chambre d'amis, avec un escalier en colimaçon qui semble descendre du grenier jusqu'au sous-sol, bien au-delà du rez-de-chaussée.

« Il y a une cave », murmure-t-il en désignant la partie inférieure de la maquette. « Et un passage secret pour y accéder. »

La maison de poupée révèle également que la fenêtre de cette chambre a été murée — détail qu'ils remarquent maintenant en levant les yeux. Des briques d'une couleur différente obstruent ce qui était autrefois une ouverture vers l'extérieur. Cette modification architecturale suggère que quelqu'un a voulu empêcher toute évasion de cette chambre.

Quand Gilda tend la ration à Épine, la main spectrale de l'enfant passe à travers la nourriture. L'illusion se brise. Les petits fantômes prennent peur et disparaissent dans un souffle, laissant nos héros face à la terrible réalité de leurs ossements.

Marcus, avec la révérence due aux morts, enveloppe délicatement les petits squelettes dans des draps trouvés sur les lits. Ces innocents méritent une sépulture digne, et il se promet de leur offrir le repos qu'ils n'ont jamais connu.

L'exploration du dernier étage révèle d'autres mystères. Dans une remise envahie de vieux meubles recouverts de draps blancs, Cassius découvre une petite malle près d'un poêle en fer. À l'intérieur, des ossements humains enveloppés dans une grande robe noire — la robe de la gouvernante qu'ils ont rencontrée à l'étage inférieur.

Une lettre accompagne ces restes, tracée d'une écriture aristocratique soignée : « Je n'avais pas le choix, cela n'a duré qu'une nuit, c'était très court, mais c'était interdit, je devais le faire, je risquais mon mariage. »

Le puzzle sordide de cette maison commence à prendre forme. La gouvernante, Erika, a été victime des secrets de cette famille, et sa mort l'a liée à jamais à cette demeure.

Marcus ajoute respectueusement les ossements de la pauvre femme à ceux des enfants. Tous méritent une sépulture convenable, loin de cette maison qui a été leur prison.

La découverte de ces tragédies marque un tournant pour nos quatre aventuriers. Face à l'horreur de ces morts innocentes, quelque chose se renforce en eux. Korven sent sa rage contre l'injustice décupler ses forces et affiner ses sens au danger. Gilda trouve en elle de nouvelles ressources spirituelles pour canaliser l'énergie divine. Cassius découvre des aspects plus sombres de la magie, une compréhension innée de la nécromancie qui lui permettra de lutter contre les forces de mort. Marcus maîtrise de nouveaux aspects de son art martial, apprenant à canaliser son énergie vitale pour accomplir des prouesses physiques inédite

Marcus a remarqué l'escalier en colimaçon dissimulé dans la remise du troisième étage — un passage qui plonge bien plus profondément que les fondations normales d'une demeure.

Le bois grince sous leurs pas tandis qu'ils descendent l'étroit escalier en spirale. L'air devient plus lourd, chargé d'odeurs de terre humide et de quelque chose de plus inquiétant — l'odeur douceâtre de la mort ancienne.

Au bas de l'escalier, ils découvrent une lettre piétinée qui révèle l'ampleur de l'horreur qui a frappé cette famille. L'écriture, différente des précédentes, porte la signature de Strahd von Zarovich.

Le message, tracé d'une écriture hautaine et méprisante, révèle toute l'horreur de cette histoire :

« Serviteur des plus pathétiques. Je ne suis pas un messie envoyé par les sombres puissances de cette région pour vous guider. Je ne suis pas venu pour vous montrer la voie de l'immortalité.

Quel que soit le nombre d'âmes que vous avez saignées sur votre autel secret et le nombre de visiteurs torturés dans votre donjon, sachez que vous n'êtes pas ceux à l'origine de ma venue dans cette jolie région. Vous n'êtes que des vers qui se tortillent sur mes terres. Vous dites que vous êtes maudits, votre fortune dilapidée.

Vous avez délaissé l'amour pour la folie, trouvé le réconfort dans les bras d'une autre femme, et engendré un enfant que vous avez tué ensuite. Maudit par les ténèbres, dites-vous ? Aucun doute sur ce point. Vous sauver de votre propre déchéance ? Je ne crois pas. Vous êtes très bien comme vous êtes.

Votre effroyable seigneur et maître, Strahd von Zarovich. »

La famille Durst a servi ce sombre maître, sacrifiant leur honneur et leurs enfants dans l'espoir d'obtenir sa faveur. Mais même leurs crimes les plus abjects n'ont pas suffi à satisfaire l'appétit de corruption de leur seigneur.

Le tunnel souterrain s'étend devant eux, large de un mètre vingt et haut de deux mètres dix. Des étais de bois soutiennent le plafond tous les mètres cinquante, et le sol de terre battue porte les traces de nombreux passages — des empreintes qui semblent remonter à plusieurs siècles.

Dès qu'ils pénètrent dans ce réseau souterrain, une psalmodie étrange et incessante parvient à leurs oreilles. Impossible de déterminer d'où viennent ces chants lugubres, mais ils résonnent dans les tunnels comme un écho venu d'outre-tombe, récitant des incantations dans une langue oubliée.

La première salle qu'ils découvrent contient plusieurs cryptes creusées dans la terre. Des blocs de pierre obstruent l'entrée de ces tombes. L'atmosphère est lourde de sacrilège et de mystères anciens.

Ils poursuivent leur exploration, marquant soigneusement leur chemin avec la dague de Cassius pour ne pas se perdre dans ce labyrinthe souterrain. Chaque couloir semble mener vers de nouvelles horreurs, chaque salle révèle des aspects plus sombres de l'histoire de cette demeure.

Dans la pièce suivante, une grande chambre avec une table de bois et quatre chaises occupe l'extrémité ouest. Quatre alcôves contiennent des paillasses de paille moisie — des lits qui ont abrité des serviteurs ou des victimes de la famille Durst. L'humidité suinte des murs, et l'odeur de décomposition imprègne l'air.

Plus loin, ils découvrent une salle avec un puits central de un mètre vingt de diamètre. Un seau de bois pend au bout d'une corde passée dans une poulie fixée aux poutres du plafond. L'eau au fond du puits reflète la lumière de leurs torches comme un œil noir et menaçant.

Plusieurs chambres annexes contiennent des lits et des coffres. Malgré leur répugnance à fouiller les biens des morts, nos héros comprennent qu'ils auront besoin de ressources pour affronter les dangers qui les attendent encore.

Dans le premier coffre, Gilda découvre onze pièces d'or et soixante pièces d'argent dans une bourse en peau humaine — un détail macabre qui la fait frissonner mais qui intéresse Cassius. Marcus trouve un cache-œil de cuir noir orné d'une cornaline, tandis que Cassius met la main sur une épée courte en argent, une arme qui pourrait s'avérer précieuse contre les créatures surnaturelles.

Le dernier coffre révèle trois agates mousse, des pierres semi-précieuses qui témoignent de la richesse passée de cette famille maudite.

Alors qu'ils explorent une nouvelle salle, leurs torches éclairent un spectacle répugnant : des ossements rongés jonchent le sol, témoignant de repas cannibales. Ces restes humains portent des marques de dents, comme si quelque créature s'en était nourrie.

Marcus examine attentivement ces indices macabres quand soudain, surgissant d'un angle mort, une extrémité griffue jaillit des ténèbres et s'abat sur son épaule.

La créature qui l'attaque défie toute description rationnelle. Son corps serpentine se termine par des tentacules munis de crochets acérés, et ses yeux multiples brillent d'une intelligence primitive et vorace. C'est un prédateur des profondeurs, un être qui hante les tunnels souterrains et se nourrit de chair fraîche.

Le Grick — car c'est ainsi que les érudits nomment cette abomination — resserre son étreinte sur Marcus, ses tentacules cherchant à percer la chair pour atteindre les organes vitaux.