Chapitre 4 - Le coeur de la demeure

Le combat contre le Grick laisse nos héros épuisés, leurs ressources entamées par l'exploration incessante de ce dédale souterrain. Les ténèbres de la Funeste Demeure semblent se refermer sur eux, mais une lueur d'espoir apparaît lorsque Marcus, explorant méthodiquement les murs, découvre une irrégularité dans la couche d'argile.

« Il y a quelque chose d'étrange sur ce mur », annonce Marcus en passant ses mains sur la surface rugueuse. Sous ses doigts experts, l'argile révèle un renflement suspect, comme si quelque chose se cachait derrière.

Avec précaution, le moine pousse contre la paroi. Un déclic résonne dans le silence oppressant, et une porte secrète se dévoile, révélant un escalier de pierre qui monte vers les étages supérieurs. Au sommet, une trappe de bois ferme le passage.

Korven, encore affaibli par ses blessures, hésite. « Je ne peux pas continuer plus loin, j'ai besoin de repos. » Sa voix trahit la fatigue qui pèse sur ses épaules.

Cassius grimpe prudemment l'escalier et colle son oreille contre la trappe. Aucun bruit inquiétant ne lui parvient. Lorsqu'il soulève le panneau de bois, une vue familière s'offre à lui : le salon des loups, l'une des premières pièces qu'ils ont explorées au rez-de-chaussée.

« On peut remonter au rez-de-chaussée par ici », annonce-t-il à ses compagnons. « Et on aura sans doute un endroit plus sûr pour se reposer. »

La proposition fait l'unanimité. Les psalmodises lugubres qui résonnent dans les profondeurs deviennent de plus en plus oppressantes, et la perspective d'un moment de répit s'éloignant des chants macabres soulève le moral du groupe.

Ils remontent un à un, refermant soigneusement la trappe derrière eux. La trappe était dissimulée sous un tapis que nos héros n'avaient pas songé à soulever lors de leur première exploration.

Marcus s'installe dans un coin de la pièce, adoptant la posture de méditation qui lui est familière. Korven s'affale dans l'un des fauteuils capitonnés, son corps meurtri réclamant le repos. Cassius et Gilda utilisent cette pause pour faire l'inventaire de leurs ressources et vérifier leur équipement.

Une heure s'écoule dans un silence relatif, seulement troublé par la respiration profonde de Marcus et les craquements occasionnels du mobilier ancien. Korven sent ses forces revenir progressivement, les égratignures et contusions les plus superficielles commencent à guérir.

Lorsque l'heure touche à sa fin, le groupe se rassemble. « On redescend ? » propose Gilda. Les autres acquiescent. Les mystères des profondeurs les attendent toujours, et le devoir les appelle vers les ténèbres.

Ils redescendent par la trappe et reprennent leur exploration méthodique des tunnels. Ils retrouvent rapidement la chapelle qui les glace d'effroi.

Des squelettes humains pendent à des fers rouillés fixés aux murs, leurs os blanchis par le temps se balancent légèrement dans les courants d'air souterrains. Mais ce qui attire immédiatement le regard de nos aventuriers, c'est l'immense alcove creusée dans le mur est.

Une statue de bois peint s'élève devant eux, représentant un homme émacié au visage d'une pâleur cadavérique. Une grande cape noire drape ses épaules osseuses, et sa main gauche repose avec une familiarité troublante sur la tête d'un loup sculpté à ses côtés. Dans sa main droite, il tient un orbe de cristal gris dans lequel une fumée semble se mouvoir de manière hypnotique, comme animée d'une vie propre.

Gilda s'approche avec méfiance, scrutant l'artefact. « Il y a quelque chose d'étrange avec cet orbe », murmure-t-elle. La fumée à l'intérieur tourbillonne sans cesse, formant des motifs qui semblent presque délibérés.

Mais malgré son examen attentif, elle ne détecte aucun piège apparent. L'orbe reste inerte, la statue immobile. Korven, son instinct de barbare aiguisé aux dangers, ne ressent aucune menace immédiate.

« Cet artefact ne m’inspire pas », déclare finalement Cassius avec un geste d'écart. « On continue ? »

Le groupe acquiesce et poursuit son chemin, laissant derrière eux la statue sinistre et son orbe mystérieux.

Leur exploration les mène vers une chambre qui se distingue du reste du donjon par son luxe relatif. Un grand lit au cadre de bois massif occupe le centre de la pièce, son matelas de plumes désormais pourri par les décennies d'abandon. Une armoire imposante, deux chandeliers en fer, une caisse ouverte et une malle de bois complètent l'ameublement.

Mais ce qui fige nos héros sur place, c'est le cadavre qui pend au-dessus du lit.

Un homme d'une quarantaine ou cinquantaine d'années se balance doucement au bout d'une corde. Son corps, méconnaissable après tant de temps, est vêtu de ce qui furent autrefois des habits somptueux. Malgré la décomposition avancée, le luxe des vêtements témoigne de son statut élevé.

« Il faut le descendre et lui offrir une sépulture digne », déclare Marcus avec la révérence qui caractérise son ordre monastique.

Korven s'approche pour détacher le corps, mais au moment où ses doigts touchent la corde, un pan de mur s'écroule dans un fracas assourdissant.

Une créature surgit de la brèche, et l'horreur qu'elle inspire dépasse tout ce qu'ils ont affronté jusqu'à présent. C'est une femme — ou ce qui fut autrefois une femme — vêtue de robes richement ornées maintenant souillées par la décomposition. Ses lèvres et ses dents sont noircies, suintant d'une substance purulente. Son regard porte une intelligence malveillante qui la distingue des goules ordinaires qu'ils ont croisées précédemment.

Elisabeth Durst — car c'est bien elle, la matriarche de la famille maudite — fixe nos héros avec un sourire sinistre.

« Pourquoi vous déplacez mon mari ? » demande-t-elle d'une voix rauque qui semble sortir d'outre-tombe. « Il me plaît là où il est. »

Gilda, malgré son dégoût, tente la diplomatie. « Nous voulons lui offrir une sépulture digne. Tout être humain mérite le repos. »

Le rire d'Élisabeth résonne comme un grincement de métal rouillé. « Vu ce qu'il a fait, il ne mérite pas une sépulture décente. Vous le laissez là où il est et je vous invite à sortir de ma chambre. »

« Qu'a-t-il donc fait de si grave pour ne pas mériter le salut ? » insiste Gilda.

Les yeux de la ghast s'assombrissent, et une rage ancienne transparaît dans son regard mort. « J'étais sans doute trop vieille et il s'est dit qu'il pouvait trouver plus jeune dans notre propre maison, sous notre propre toit. La servante... quelle charmante femme. »

La vérité se dessine avec une clarté terrible. Gustav Durst a trahi son épouse avec Erika, la jeune gouvernante, engendrant l'enfant illégitime qui a précipité la chute de toute la famille.

« Elle a terminé dans un endroit qui était aussi étroit que son esprit », ajoute Élisabeth avec une cruauté glaciale.

Cassius tente une autre approche. « Vos enfants nous ont dit de venir vous aider. »

Le visage de la ghast se tord en une expression de douleur et de rage mêlées. « Mes enfants sont morts. Je ne pense pas que vous leur ayez parlé. »

« Si, nous les avons vus à l'extérieur de la maison », insiste Cassius.

« Je pense que vous avez vu ce que la maison voulait vous faire voir », répond Élisabeth avec une lucidité troublante sur sa propre condition.

Gilda, voyant que la négociation ne mène nulle part, tente une dernière question. « Qu'espérez-vous maintenant ? »

« Que vous partiez vite et que vous me laissiez tranquille. Je ne ferai rien. J'attends sa venue. »

« Qui attendez-vous ? »

Un sourire malsain étire les lèvres noircies de la créature. « Vous le verrez bientôt. »

Corven, dont la patience s'épuise, tarde à se retirer. Mais Élisabeth s'avance, levant une main griffue bien plus grande que la tête du guerrier.

« Partez ! » ordonne-t-elle d'une voix qui fait trembler les murs.

Gilda, comprenant que le combat est inévitable, brandit son symbole sacré et invoque le pouvoir divin qui lui a été conféré. « Par la lumière divine, je renvoie les morts-vivants ! »

Mais Élisabeth Durst n'est pas une simple goule. La puissance qui l'anime résiste à la force divine, et elle sourit avec mépris. « Pathétique », siffle-t-elle avant de bondir à l'attaque.

Le combat qui s'engage est féroce et désespéré. Les griffes d'Élisabeth portent non seulement la force brute de la mort-vivante, mais aussi un poison nécrotique qui s'infiltre dans les plaies de ses victimes.

Korven, se tenant en première ligne, subit le premier assaut. Les griffes de la ghast le frappent, et immédiatement, une sensation de nausée l'envahit. Son corps réagit au poison ancien qui coule dans les veines de la créature. Mais sa constitution de guerrier aguerri lui permet de résister au pire des effets, et il contre-attaque avec fureur.

Marcus, rapide comme l'éclair, lance une fléchette qui se plante dans l'épaule de la ghast. La créature recule sous l'impact, manifestement affectée par le coup précis du moine. Profitant de son avantage, Marcus se rapproche et déchaîne un déluge de coups — son bâton frappe le crâne de la morte-vivante avec une force décuplée, puis ses poings martèlent le corps décomposé dans une série d'attaques fluides et mortelles.

Élisabeth chancelle sous l'assaut, clairement affaiblie. Mais elle n'est pas encore vaincue.

Cassius, voyant Korven en difficulté, se positionne pour l'aider tandis que Gilda brandit son marteau de guerre béni. « Qui est pathétique maintenant ? » gronde-t-elle en abattant son arme sur le crâne de la ghast.

Le coup résonne avec un craquement sinistre. Élisabeth Durst s'effondre, son corps se désagrégeant enfin après des décennies de non-vie torturée.

Le silence retombe sur la chambre, seulement troublé par les respirations haletantes des combattants.

Une fois le danger écarté, nos héros fouillent méthodiquement la pièce. Ce qu'ils découvrent dépasse leurs attentes.

Dans la caisse ouverte, Cassius trouve trente torches en parfait état — un trésor inestimable dans l'obscurité des souterrains. Le groupe se partage équitablement cette ressource précieuse.

Mais c'est dans la malle de bois que se cache la véritable découverte. Cassius l'ouvre et découvre une cape soigneusement pliée. Dès qu'il la touche, une lueur de reconnaissance traverse son regard. Ses connaissances arcaniques lui permettent d'identifier immédiatement l'objet : une Cape de Protection, un artefact magique qui renforce à la fois les défenses physiques et la résistance mentale de celui qui la porte. Le magicien la revêt, sentant immédiatement l'énergie protectrice qui en émane.

Le coffret adjacent révèle quatre potions de guérison, leurs liquides rouge rubis scintillant dans la lumière des torches. Chaque membre du groupe en reçoit une, conscient de leur valeur potentiellement vitale.

Cassius découvre également une lanterne sourde — dont les parois opaques permettent de masquer complètement la lumière — ainsi qu'une chemise de maille, une gourde de feu-grégeois, et des outils de voleur.

Mais le trésor le plus précieux est un grimoire à la couverture de cuir jaune. Lorsque Cassius l'ouvre, ses yeux s'illuminent. Les pages contiennent de nombreux sorts qu'il pourra ajouter à son propre répertoire.

À côté de chaque sort, une note sobrement rédigée indique le nom d'un aventurier et une date. Cassius comprend avec un frisson que les objets et les sorts ont été prélevées sur les cadavres d'aventuriers précédents, attirés en Barovie et tombés dans les pièges de la Maison de la Mort.

« J'ai une pensée pour eux », murmure-t-il avec respect. « Et je les remercie pour leur sacrifice. »

Korven détache finalement le corps de Gustav Durst et le transporte jusqu'aux cryptes. Gilda porte celui d’Elisabeth. Arrivés devant le cercueil de la maitresse de maison, Gilda se retrouve attaquée par une nuée de milles pattes. Korven lance sa torche dans la masse et fait fuir les insectes. Ils placent le cadavre du père dans son cercueil, et celui d'Élisabeth dans le sien. Marcus prononce des prières, espérant offrir à ces âmes tourmentées le repos qu'elles n'ont jamais connu.

Mais contrairement à ce qui s'est passé avec Rose et Épine, aucune fumée dorée ne s'élève des cercueils. Aucun signe de libération ne se manifeste. Les parents Durst, semble-t-il, sont damnés au-delà de toute rédemption.

Le groupe remonte ensuite au premier étage, trouvant une chambre sécurisée pour se reposer. Ils barricadent la porte, vérifient minutieusement chaque recoin, et s'installent enfin pour un repos bien mérité.

Marcus s'assoit dans un coin et entre dans sa méditation habituelle. Korven, habitué à dormir à la dure, s'étend sur le sol. Gilda et Cassius se partagent le lit, chacun gardant une arme à portée de main.

Huit heures s'écoulent dans un calme relatif. Leurs corps guérissent, leurs esprits se reposent, leurs pouvoirs se rechargent. Au réveil, Gilda effectue un rituel matinal, bénissant son marteau de guerre avec les flammes sacrées de la forge. Cassius étudie les nouveaux sorts de son grimoire, les mémorisant méthodiquement.

Ils sont prêts à affronter ce qui les attend dans les profondeurs.

Rafraîchis et réarmés, nos héros redescendent dans les ténèbres souterraines. Les psalmodises lugubres reprennent, plus fortes à mesure qu'ils s'enfoncent.

« Il est l'Ancien, il est la Terre, il est l'Ancien, il est la Terre... »

Les chants résonnent sans fin, martelant ces mots comme une litanie obessive. La voix — ou plutôt les voix, car plusieurs semblent se superposer — portent un écho surnaturel qui glace le sang.

Leur exploration les mène vers de nouvelles salles. Dans des alcoves creusées dans les murs, ils découvrent une collection macabre d'objets : une main jaunie et momifiée aux griffes tranchantes, un couteau taillé dans un os humain, une dague au pommeau orné d'un crâne de rat, un œil conservé dans un bocal, un goupillon sculpté dans l'os, une cape cousue dans ce qui semble être de la peau de goule, une grenouille séchée attachée à un bâtonnet, le doigt tranché d'une guénaude, et la tête réduite d'un halfelin.

Cassius examine ces artefacts avec dégoût. « Ce ne sont pas de vraies reliques magiques », conclut-il. « Plutôt des souvenirs macabres collectés par des amateurs... ou par un culte de débutants cherchant à imiter des rituels dont ils ne comprenaient pas la vraie nature. »

« C'est malsain », déclare Gilda avec fermeté. « Je n'aime pas ça. »

Ils poursuivent leur progression jusqu'à déboucher sur une pente descendante. Au bas de celle-ci, une eau trouble stagne sur environ soixante centimètres de profondeur. Une herse rouillée bloque partiellement le passage.

Plus loin, ils aperçoivent une vaste salle rituelle.

Les murs maçonnés et lisses contrastent avec la pierre brute des tunnels précédents. Des piliers simples soutiennent un plafond voûté qui offre une acoustique excellente — ce qui explique la puissance des psalmodises. Une brèche dans le mur sud s'ouvre sur une grotte sombre remplie de détritus.

Des escaliers de pierre montent vers plusieurs corniches qui longent les murs. Au centre de la salle, une plateforme octogonale s'élève au-dessus de l'eau. Des chaînes et des fers rouillés pendent du plafond directement au-dessus d'un autel de pierre posé sur cette plateforme.

L'autel est taché de sang séché qui a imprégné la pierre pendant des décennies. Gravées sur sa surface, deux représentations de goules rapaces fixent les intrus de leurs yeux vides.

Lorsque Gilda pose son regard sur la salle, les psalmodises cessent brusquement.

Le silence qui suit est plus inquiétant encore que les chants. Aucun mouvement n'est visible, aucun bruit ne trouble l'air stagnant.

« On devrait peut-être revenir plus tard », suggère Korven, son instinct de guerrier lui criant de battre en retraite.

Cassius observe la salle avec une fascination morbide. « Un autel de sacrifice... Un culte voué à une entité ancienne... ».

En prenant un couloir au dessus de l’entrée bloquée par la herse, nos héros découvrent l’un des derniers secret de la Funeste Demeure : la prison du culte. Le couloir s'ouvre sur une série d'alcôves sinistres, chacune équipée de fers rouillés fixés aux murs. Les chaînes pendent encore, témoins silencieux des souffrances endurées ici. Gilda comprend avec horreur que les ossements qu'ils ont vus dans la salle de la statue appartenaient aux malheureux prisonniers enfermés dans ces geôles avant leur mort.

Au fond de la dernière alcôve, un squelette attire l'attention de la naine. Contrairement aux autres, celui-ci porte encore une cape — un membre du culte qui a dû déplaire à ses maîtres et subir le même sort que les victimes qu'il torturait.

C'est alors que Marcus, toujours attentif, perçoit un léger courant d'air contre le mur est. Ses mains expertes de moine tâtonnent la pierre froide jusqu'à découvrir le mécanisme d'une porte secrète. Le panneau pivote dans un grincement lugubre, révélant l'accès à la salle des rituels.

Le groupe hésite au seuil de la salle rituelle. Devant eux s'étend le cœur de la corruption qui a ronge cette maison pendant des générations. Derrière eux, la promesse d'une retraite... mais aussi la certitude que tant que ce mal ne sera pas purifié, leurs âmes ne trouveront jamais le repos. Marcus remarque une roue de bois à côté de la herse. Il la tourne et relève la herse. Le groupe aura le chemin libre s’ils doivent fuir.