Les quatre aventuriers se tiennent au bord de la plateforme centrale, leurs torches projetant des ombres dansantes sur les murs maçonnés de la salle de rituel. L'autel de sacrifice se dresse devant eux, taché du sang séché de décennies d'horreurs, ses chaînes rouillées pendant du plafond comme des serpents figés dans le temps. Les représentations de goules gravées dans la pierre semblent les observer avec une faim éternelle.
Marcus a actionné la roue qui relève la herse au sud, assurant une voie de fuite si nécessaire. L'eau saumâtre stagne à leurs pieds, ses soixante centimètres de profondeur reflétant faiblement la lumière vacillante de leurs flammes. Le silence qui règne désormais est plus inquiétant encore que les psalmodises qui résonnaient quelques instants auparavant.
C'est Korven qui brise ce silence mortel. « Quelque chose ne va pas. Où sont passés les cultistes dont nous entendions les chants ? »
Avant que quiconque puisse répondre, les psalmodises reprennent. Mais cette fois, elles ne proviennent plus de nulle part et de partout à la fois. Treize silhouettes se matérialisent sur les corniches qui surplombent la salle, encerclant complètement les intrus.
Elles sont vêtues de robes noires qui semblent absorber la lumière elle-même. Dans leurs mains, des torches aux flammes impossibles — noires, dévorant l'obscurité plutôt que de la repousser. Là où devraient se trouver leurs visages, il n'y a que du vide, une absence totale qui fait mal aux yeux de ceux qui tentent de la fixer.
Les treize spectres se tournent vers les aventuriers, et leurs voix s'élèvent à l'unisson, résonnant dans toute la salle avec une puissance qui fait vibrer les chaînes suspendues :
« Quelqu'un doit mourir. Quelqu'un doit mourir. Quelqu'un doit mourir. »
Gilda et Cassius échangent un regard alarmé. Tous deux ont suffisamment étudié les créatures surnaturelles pour reconnaître ce qui se dresse devant eux. Ce ne sont pas de simples spectres, mais des échos du culte qui a prospéré ici, des manifestations de la maison elle-même.
« Vous ne quitterez pas le piédestal sans que le sang soit versé et qu'une créature vivante meure », résonne une voix qui semble provenir de partout et de nulle part. « Nous célébrons la mort ici. »
Korven tente de parler aux apparitions, mais elles ne répondent qu'en répétant leur litanie macabre. La frustration monte dans le groupe. Marcus tente de franchir l'eau pour rejoindre la herse, espérant qu'en quittant la plateforme, ils pourront briser le sortilège.
Mais au moment où il pose le pied dans l'eau trouble, les psalmodises changent.
« Le Tertre errant, le Pourrisseur, nous le réveillons ! Quelqu'un doit mourir ! Le Tertre errant, le Pourrisseur, nous le réveillons ! »
Dans l'amoncellement de détritus au nord de la salle — cette grotte puante remplie de décennies de restes humains et de corruption — quelque chose se met à bouger. Des tonnes de matière organique en décomposition se soulèvent, se rassemblent, prennent forme.
La créature qui émerge dépasse en horreur tout ce qu'ils ont affronté jusqu'à présent. C'est une masse vivante de végétation putréfiée, de lianes enchevêtrées et de matière organique en décomposition, mesurant près de trois mètres de hauteur. Des lianes épaisses comme des bras d'homme fouettent l'air, chacune capable d'écraser un homme. L'odeur pestilentielle qui émane de la créature est si forte qu'elle leur brûle la gorge.
Gilda et Cassius reconnaissent immédiatement le danger. Leurs études respectives — théologie pour l'une, arcanes pour l'autre — leur ont appris à identifier les menaces mortelles. Un Tertre errant. Une créature élémentaire quasi-immortelle, résistante à la plupart des formes de magie, dotée d'une force terrible et d'une faim insatiable.
« Nous devrions être deux ou trois fois plus nombreux pour espérer vaincre une telle créature », souffle Gilda, la voix blanche.
Korven, qui ne comprend pas immédiatement la gravité de la situation, voit néanmoins la peur dans les yeux de ses compagnons les plus savants. « Il faut se casser ! » crie Cassius. « Allez, venez, suivez-moi ! »
Mais il est déjà trop tard.
Le Tertre errant se déplace avec une rapidité surprenante pour sa masse imposante. Ses lianes fouettent l'air, cherchant à attraper les intrus. Le groupe se disperse dans la panique, chacun cherchant une issue.
C'est Gilda qui se retrouve la première sur le chemin de la bête. La naine, coincée près de l'entrée de la prison, n'a pas le temps de s'échapper. Deux coups d'une violence inouïe s'abattent sur elle.
Le premier la frappe à l'épaule avec une force qui la fait chanceler. Le second percute son torse de plein fouet. Elle entend ses côtes craquer sous l'impact, sent l'air être expulsé de ses poumons. La douleur explose dans tout son corps comme une déflagration.
Gilda s'effondre, le goût du sang dans la bouche, sa vision se rétrécissant en un tunnel noir. Elle sent la vie s'échapper d'elle, ses forces l'abandonnant. Le dernier son qu'elle entend avant de sombrer dans l'inconscience est le cri horrifié de ses compagnons.
« Gilda ! »
Les spectres continuent leur psalmodie, impassibles : « Quelqu'un doit mourir. Quelqu'un doit mourir. »
Dans le chaos qui suit, les trois hommes se dispersent. Cassius, déjà en mouvement vers l'escalier en colimaçon, crie : « Fuyez ! Je prends l'escalier ! »
Korven se précipite vers la herse qu'ils ont relevée plus tôt et l'agrippe. Il tire de toutes ses forces. Le métal rouillé résiste un instant, puis tombe d'un coup avec un fracas assourdissant, bloquant partiellement le passage entre eux et la créature.
Marcus, voyant Gilda tomber, hurle : « On ne peut pas l'abandonner ! Par la prison ! »
Le moine et Korven échangent un regard et prennent leur décision. Pendant que le Tertre errant s'infiltre déjà à travers les barreaux de la herse — sa masse végétale se contractant pour passer les interstices — ils se précipitent vers l'entrée de la prison, cherchant un chemin détourné pour rejoindre leur compagne tombée.
Cassius grimpe l'escalier en colimaçon aussi vite que ses jambes le lui permettent, son souffle rauque résonnant contre les murs de pierre humide. Derrière lui, les bruits de la bataille s'estompent rapidement. Il débouche dans les cryptes, le cœur battant, et s'arrête un instant pour reprendre son souffle.
C'est alors qu'il réalise : personne ne le suit.
Le silence qui l'entoure est oppressant. Aucun bruit de pas, aucun cri de ses compagnons. Dans la confusion de la fuite, le groupe s'est séparé. Korven et Marcus ont dû prendre un autre chemin — la prison, sans doute.
Le magicien hésite, agrippant sa dague d'une main tremblante. Ses compagnons sont en danger. Gilda est peut-être morte. Il ne peut pas continuer seul et les abandonner. Il doit les retrouver.
Cassius fait demi-tour et redescend vers la prison, cherchant désespérément à rejoindre Marcus et Korven. Les couloirs sombres se ressemblent tous dans la pénombre, et il peine à s'orienter. Le bruit écœurant du Tertre errant résonne quelque part dans les profondeurs, un frottement humide et visqueux qui semble venir de partout à la fois.
Pendant ce temps, Marcus et Korven progressent rapidement dans les couloirs étroits de la prison. Le moine, guidé par son instinct et sa mémoire des lieux, trouve un passage qui contourne la salle de rituel et mène vers l'autel par un chemin détourné.
Ils découvrent Gilda, inconsciente, gisant dans l'eau saumâtre près de la plateforme. Le Tertre errant, occupé à passer la herse, ne les a pas encore repérés. Marcus se précipite, sort sa potion de guérison de sa besace et la fait boire à la naine.
Après quelques instants terrifiants où rien ne semble se produire, Gilda tousse violemment, crache du sang, et ses yeux s'ouvrent. La douleur la frappe immédiatement — ses côtes cassées protestent à chaque respiration — mais elle est vivante.
« Marcus... », souffle-t-elle faiblement, sa voix rauque.
« Pas de temps pour les remerciements ! » répond-il en l'aidant à se relever. « Il faut fuir ! »
Korven les rejoint, scrutant nerveusement le Tertre errant qui a presque fini de passer la herse. « Par où ? »
« La herse », dit Marcus. « On reprend par là et on monte par l'escalier principal ! Cassius a dû prendre l'escalier en colimaçon, il nous attend sûrement en haut ! »
Les trois survivants se mettent en route, Marcus soutenant Gilda qui chancelle à chaque pas. Ils franchissent tant bien que mal la herse, leurs pieds pataugeant dans l'eau trouble, et prennent le couloir qui mène à l'escalier principal — celui qui débouche directement dans le hall d'entrée du rez-de-chaussée.
Dans les méandres de la prison, Cassius s'enfonce de plus en plus profondément, cherchant désespérément ses compagnons. Il appelle à voix basse, n'osant pas crier de peur d'attirer la créature.
« Marcus ? Korven ? »
Seul le silence lui répond. Un silence lourd, oppressant, rompu uniquement par le goutte-à-goutte de l'eau qui suinte des murs et son propre souffle haletant.
C'est alors qu'il entend le bruit derrière lui. Ce frottement humide et visqueux de la masse végétale qui se déplace. Le Tertre errant a quitté la salle de rituel et a suivi sa trace dans les couloirs de la prison.
Cassius se retourne lentement, la peur lui serrant la gorge comme un étau glacé. La créature remplit complètement le couloir étroit, ses lianes fouettant les murs et faisant tomber des morceaux de terre. Il n'y a nulle part où fuir. Les alcôves des anciennes cellules ne sont pas assez profondes pour s'y cacher. Les murs humides ne révèlent aucune porte secrète.
Le magicien est pris au piège.
Il lève sa dague d'une main tremblante, sachant que l'arme est dérisoire contre une telle créature. Il tente de lancer un sort, les mots de pouvoir se formant sur ses lèvres, ses doigts traçant les symboles arcaniques dans l'air.
Mais la panique brise sa concentration. Les syllabes se mélangent, l'énergie magique se dissipe avant de prendre forme. Le sort échoue.
Le Tertre errant n'hésite pas. Il n'a pas de conscience, pas de pitié, seulement une faim primordiale et le commandement des spectres : quelqu'un doit mourir.
Deux coups massifs s'abattent sur le magicien avec une violence qui dépasse l'entendement. Le premier frappe son torse, brisant sa cage thoracique comme du bois mort et projetant son corps contre le mur de pierre. Le second s'abat sur lui alors qu'il glisse au sol, écrasant son crâne dans un craquement horrible.
Cassius Blackthorn s'effondre dans l'eau saumâtre de la prison, tué sur le coup. Son dernier regard, vitrifié par la mort, fixe l'entrée du couloir — le chemin qu'auraient dû prendre ses amis s'ils étaient venus par là.
Il meurt seul, dans l'obscurité humide de la prison, à quelques dizaines de mètres seulement de l'escalier principal que ses compagnons empruntent à ce moment précis. Aucun dernier mot. Aucun adieu. Aucun cri qui pourrait alerter les autres. Juste le silence soudain de la mort, englouti par les ténèbres de la Funeste Demeure.
Le magicien qui avait rejoint leur groupe à l'Auberge du Bon Vivant, qui avait franchi les brumes de Barovie avec eux, qui avait découvert tant de secrets arcaniques dans cette maison maudite, qui portait fièrement la Cape de Protection récupérée sur Gustav Durst — Cassius meurt comme tant d'autres avant lui, une victime de plus dans la longue histoire sanglante de la Maison de la Mort.
Son corps reste là, dans la prison maudite, pendant que ses compagnons montent déjà vers les étages supérieurs par l'escalier principal, totalement ignorants qu'ils viennent de perdre l'un des leurs.
Marcus, Korven et Gilda gravissent péniblement l'escalier qui mène au rez-de-chaussée. La naine s'appuie lourdement sur le moine, chaque marche lui arrachant une grimace de douleur. Derrière eux, quelque part dans les profondeurs, ils entendent encore le bruit du Tertre errant qui se déplace.
« Cassius doit être déjà en haut », halète Korven. « Il a pris de l'avance par l'escalier en colimaçon. »
« Il nous attend sûrement », répond Marcus, soutenant Gilda. « Dépêchons-nous. »
Ils débouchent dans le hall d'entrée du rez-de-chaussée. L'escalier principal devant eux monte vers les étages supérieurs. Mais ce qui les accueille les fige d'horreur.
La maison s'est réveillée.
Les murs suintent d'un liquide visqueux et nauséabond qui s'écoule comme du sang noir. L'odeur de pourriture est si forte qu'elle leur brûle les narines et la gorge. Certaines fenêtres sont maintenant murées de briques qui n'existaient pas quelques heures auparavant. D'autres demeurent ouvertes sur la nuit brumeuse, mais leurs encadrements semblent palpiter comme de la chair vivante.
Et les portes. Toutes les portes ont disparu, remplacées par d'énormes lames de faux qui balancent d'avant en arrière dans les encadrements, leurs tranchants acérés sifflant dans l'air avec une régularité mortelle. Chaque balancement produit un sifflement aigu qui résonne comme un cri d'agonie.
Dans les murs, ils entendent le grattement de milliers de petites pattes. Des rats, des cafards, des serpents — toute la vermine qui a prospéré dans cette maison maudite pendant des décennies — grouille maintenant dans les cloisons, cherchant à percer vers l'extérieur. Par endroits, la paroi se bombe dangereusement, prête à éclater.
« Par tous les dieux », murmure Gilda, agrippant son marteau. « La maison... elle est vivante. »
« Il faut monter ! » crie Korven. « Cassius nous attend en haut ! »
Ils se précipitent vers l'escalier principal, leurs pas résonnant sur le bois qui craque sinistrement sous leur poids. Derrière eux, dans les profondeurs, le bruit du Tertre errant continue de résonner. La créature les poursuit toujours.
Au deuxième étage, ils doivent franchir leur première porte équipée de lames. Marcus étudie le balancement mortel, chronométrant le rythme. « À trois... Un, deux, trois ! »
Le moine bondit, son corps passant entre deux balayages. Il réussit. « À vous ! »
Korven passe ensuite, mais la lame frôle son épaule déjà blessée, rouvrant la plaie. Il étouffe un cri et continue.
Gilda, affaiblie, hésite. « Je... je ne peux pas. »
« Tu le peux ! » insiste Marcus depuis l'autre côté. « Je compte ! Un, deux, trois ! »
La naine se jette en avant. La lame siffle, mais elle passe de justesse. Marcus la rattrape de l'autre côté alors qu'elle s'effondre presque.
Ils poursuivent leur ascension désespérée. Chaque étage présente de nouveaux dangers. Dans un couloir du troisième étage, un mur explose soudainement dans un fracas assourdissant. Des centaines de rats, de cafards et de serpents se déversent dans le passage, recouvrant le sol d'un tapis grouillant et vivant qui semble avoir sa propre volonté.
Marcus doit littéralement porter Gilda par-dessus la masse frétillante, écrasant des dizaines de créatures sous ses pieds. Le craquement des carapaces et les couinements aigus des rats agonisants créent une symphonie cauchemardesque.
Ils arrivent enfin au grenier, haletants, couverts de sueur et de sang. C'est là que Rose et Épine apparaissent une dernière fois.
Les deux enfants spectres, dont ils ont libéré les âmes quelques heures plus tôt dans les cryptes, se matérialisent devant eux. Leurs formes translucides sont empreintes d'une tristesse infinie, mais aussi d'une urgence désespérée.
« Fuyez ! » supplie Rose de sa voix enfantine et spectrale qui semble venir d'outre-tombe. « La maison essaie de vous tuer ! Elle ne vous laissera pas partir ! »
« Partez vite ! » ajoute Épine, tendant sa petite main vers eux. « Il faut fuir maintenant ! Elle se réveille complètement ! »
Korven, le souffle court, demande : « Et Cassius ? Vous l'avez vu ? »
Mais les spectres disparaissent déjà, leur message délivré, ne laissant qu'une brume dorée qui se dissipe lentement.
« Il a dû continuer », dit Marcus. « Il nous attend dehors. Descendons ! »
La descente qui suit est un cauchemar éveillé qui semble ne jamais devoir finir. À chaque porte, ils doivent chronométrer leur passage entre les balayages meurtriers des lames de faux. Le moindre faux pas, la moindre hésitation peut signifier la mort.
Marcus, avec son agilité de moine entraîné, passe le premier à chaque fois, montrant le chemin et chronométrant les balayages pour ses compagnons. Mais tous ne partagent pas sa grâce martiale.
Korven, tentant de franchir une porte au deuxième étage, rate son timing d'une fraction de seconde. La lame tranche profondément dans son épaule déjà blessée, rouvrant complètement la plaie. Du sang gicle, éclaboussant le mur adjacent. Le guerrier pousse un cri de douleur mais ne s'arrête pas — s'arrêter signifierait mourir. Il presse sa main contre la blessure et continue, laissant une traînée rouge derrière lui.
Gilda, encore affaiblie par ses blessures au Tertre errant et par l'épuisement, passe de justesse la première faux grâce aux indications de Marcus. Mais la suivante l'entaille profondément au flanc. Elle trébuche, et seul le bras de Marcus qui la rattrape l'empêche de tomber.
« Je ne vais pas y arriver », halète-t-elle, le visage livide.
« Si, tu vas y arriver », répond fermement le moine. « Pour Rose et Épine. Pour Cassius qui nous attend. Continue ! »
Au premier étage, dans un long couloir, le sol lui-même commence à craquer. Des fissures apparaissent dans les planches de bois, et à travers les interstices, ils aperçoivent les ténèbres des sous-sols en dessous — et le mouvement sinistre du Tertre errant qui continue sa poursuite inlassable.
« Plus vite ! » crie Korven en boitant. « Cette maudite chose nous suit toujours ! »
Ils accélèrent autant que possible, mais chaque mouvement est une torture pour leurs corps meurtris. Dans un autre couloir, une fenêtre s'ouvre soudainement devant Korven avec un claquement sec. Le guerrier, poussé par un instinct de survie et voyant une échappatoire, saute sans réfléchir.
Il atterrit lourdement sur le toit en pente du balcon inférieur, roule pour amortir sa chute, ses côtes protestant violemment. Il finit par s'arrêter au bord, à quelques centimètres d'une chute mortelle de cinq mètres vers le jardin en contrebas. Pendant un instant, il reste allongé, le souffle coupé, fixant le ciel gris de Barovie au-dessus de lui.
Marcus et Gilda, eux, continuent par l'escalier principal. Le moine franchit les lames avec une agilité qui confine au surnaturel, fruit de ses années d'entraînement monastique. Mais Gilda, épuisée, blessée, se traîne derrière lui comme elle peut. À chaque passage, elle frôle la mort de plus près, ses réflexes ralentis par la douleur et la fatigue.
À un moment, une lame entaille profondément son bras. À un autre, elle trébuche et manque de tomber directement dans le balancement mortel. Seule la poigne de fer de Marcus la sauve à chaque fois.
Au rez-de-chaussée enfin, Marcus arrive le premier à la porte d'entrée. Elle est grande ouverte — comme une invitation malsaine, comme si la maison elle-même les invitait à sortir maintenant qu'elle s'est suffisamment amusée. Il se retourne pour aider Gilda qui descend la dernière volée de marches en s'agrippant à la rampe.
Korven les rejoint en passant par une fenêtre latérale du salon, escaladant péniblement depuis le balcon où il a atterri. Il boite lourdement, son épaule dégoulinant de sang.
« Cassius ? » demande Korven en scrutant les environs. « Il n'est pas encore sorti ? »
Marcus fronce les sourcils. « Il a pris de l'avance par l'escalier en colimaçon. Il devrait être dehors depuis longtemps. »
« Peut-être qu'il nous attend dans le jardin », suggère Gilda, s'appuyant contre le chambranle. « Allons-y. »
Comme pour les presser de partir, un grondement sourd fait trembler toute la structure. Des fissures apparaissent dans les murs du hall, courant comme des éclairs noirs sur les surfaces. L'odeur de fumée commence à se répandre — quelque chose brûle quelque part à l'intérieur, dans les profondeurs de la maison.
« Il faut partir. Maintenant », ordonne Gilda.
Ils franchissent le seuil de la Maison de la Mort et sortent dans le jardin envahi par les mauvaises herbes. L'air frais de la nuit frappe leurs visages comme une gifle, et pour la première fois depuis ce qui leur semble être une éternité, ils peuvent respirer sans que l'odeur de mort et de corruption ne remplisse leurs poumons.
Derrière eux, la maison continue de gémir et de grincer, comme si elle pleurait la perte de ses proies ou rugissait de frustration. Les fenêtres murées, les murs suintants, tout cela reste visible — la demeure ne reprendra pas son apparence normale de sitôt. Elle semble presque vivante, palpitante, furieuse.
Korven, Marcus et Gilda se tiennent dans le jardin, blessés, épuisés, tremblants. Ils scrutent les ombres, cherchant la silhouette familière de leur compagnon magicien.
« Cassius ? » appelle Korven. « Cassius ! »
Seul le silence leur répond. Un silence lourd, oppressant, qui fait naître une terreur glacée dans leurs cœurs.
« Il est peut-être allé vers le village », suggère Marcus, mais sa voix manque de conviction.
Ils font le tour du jardin, appelant, cherchant. Mais Cassius n'est nulle part. Aucune trace de lui. Aucun signe qu'il soit jamais sorti de la maison.
Gilda s'arrête, le visage soudain livide. « Non... »
« Quoi ? » demande Korven.
« Il a pris l'escalier en colimaçon », murmure-t-elle, la réalisation horrible s'imposant à elle. « Mais nous... nous sommes remontés par l'escalier principal. »
Marcus comprend à son tour, et ses jambes menacent de se dérober sous lui. « Il ne nous a jamais précédés. Il était... il était derrière nous. Ou... »
« La prison », souffle Korven, ses mains se mettant à trembler. « Quand nous sommes passés par la prison pour sauver Gilda... il a dû redescendre pour nous suivre. Il a dû essayer de nous rejoindre. »
Le silence qui suit est plus lourd que tous les dangers qu'ils ont affrontés. La vérité se dessine avec une clarté atroce : Cassius n'est jamais remonté. Il est resté en bas, dans les ténèbres. Seul.
« On ne peut pas retourner le chercher », dit Marcus, sa voix se brisant malgré lui. « La maison... »
Comme pour confirmer ses paroles, un craquement assourdissant retentit. Une partie du toit s'effondre dans une gerbe de poussière et de débris. Des flammes commencent à lécher les fenêtres du deuxième étage.
« Il est mort », murmure Gilda, les larmes roulant sur ses joues crasseuses. « Il est mort en essayant de nous retrouver. »
Korven serre les poings si fort que ses ongles pénètrent dans ses paumes. « C'est ma faute. J'ai abaissé la herse. Je l'ai séparé de nous. »
« Non », répond Marcus fermement, posant une main sur son épaule. « C'est la faute de cette maison maudite. C'est la faute de ce culte dément. C'est la faute de Strahd et de cette terre corrompue. Mais pas la tienne. »
Ils restent là, dans le jardin, fixant la maison qui continue de se consumer lentement. Quelque part dans ses profondeurs, dans l'eau saumâtre de la prison, leur ami et compagnon repose, seul dans les ténèbres.
Gilda s'effondre au sol, ses forces enfin épuisées. Marcus s'assoit à côté d'elle, fixant la maison d'un regard vide. Korven reste debout, serrant son épée comme si c'était la seule chose qui le maintenait en vie, ses larmes traçant des sillons propres sur son visage couvert de sang et de sueur.
Autour d'eux, le village de Barovie dort, ignorant le drame qui vient de se jouer. La brume qui encerclait la maison commence lentement à se lever, révélant les premières lueurs grises de l'aube. Une aube sans espoir, comme toutes les aubes en Barovie.
« Il est mort en essayant de nous sauver », dit finalement Gilda, sa voix étranglée par le chagrin. « Il est revenu sur ses pas pour s'assurer que nous suivions. Il n'a pas abandonné. »
Marcus ferme les yeux, les poings serrés. « Son sacrifice ne sera pas vain. Nous devons continuer. Pour lui. »
Korven crache du sang sur le sol, un mélange de rage et de tristesse consumant son cœur. « Pour Cassius », dit-il d'une voix rauque.
Ils restent assis dans le jardin pendant de longues minutes, le silence pesant entre eux. Chacun revit mentalement les derniers instants dans la maison, se demandant s'ils auraient pu faire quelque chose différemment, s'ils auraient pu empêcher cette tragédie.
Mais au fond de leurs cœurs, ils connaissent la vérité. Dans la confusion de la fuite, dans le chaos de la panique, le groupe s'est séparé. Cassius a fait ce qu'il pensait être juste — chercher ses compagnons, s'assurer de leur sécurité. Et cela lui a coûté la vie.
« Il était courageux », murmure Marcus. « Plus courageux que beaucoup. »
« Il était notre ami », ajoute Gilda, essuyant ses larmes d'un revers de main tremblant.
La maison les observe depuis ses fenêtres brisées, gardant jalousement le corps de sa dernière victime. Quelque part dans ses profondeurs, dans l'eau saumâtre des souterrains, Cassius Blackthorn repose en paix — si tant est qu'on puisse trouver la paix dans un endroit aussi maudit.
Son dernier acte fut un acte de loyauté et de courage. Son dernier choix fut de ne pas abandonner ses compagnons. Et ce choix l'a mené à une mort solitaire dans les ténèbres, loin de la lumière, loin de ses amis.
À trois maintenant, meurtris dans leur chair et dans leur âme, brisés mais vivants, ils doivent affronter les horreurs de Barovie sans lui. Sans ses sorts qui les ont tant de fois sauvés. Sans sa sagesse qui les guidait. Sans son amitié qui les réconfortait.
La Cape de Protection qu'il portait fièrement, récupérée sur Gustav Durst, repose maintenant avec lui dans les profondeurs. Les sorts qu'il avait appris du grimoire à la couverture de cuir jaune ne seront jamais lancés. Les découvertes qu'il aurait pu faire, les mystères qu'il aurait pu résoudre — tout cela est perdu à jamais.
Et quelque part dans les profondeurs de cette terre maudite, depuis son château perché sur la montagne, Strahd von Zarovich observe. Peut-être sourit-il de ce nouveau drame, de cette nouvelle tragédie qui vient enrichir la longue histoire de souffrances de son domaine. Peut-être est-il simplement indifférent, car la mort d'un aventurier de plus n'est rien dans l'éternité de sa non-vie.
La nuit tombe sur Barovie — ou plutôt, la grisaille perpétuelle s'assombrit légèrement, car le vrai soleil ne brille jamais ici. Les trois survivants de la Funeste Demeure savent désormais que dans cette terre maudite, la mort rôde à chaque coin de rue, et que même les héros les plus courageux peuvent tomber dans l'obscurité, seuls et oubliés.
Mais ils sont vivants. Et tant qu'ils respirent, tant que leurs cœurs battent, l'espoir demeure. Un espoir fragile, ténu, mais réel. L'espoir de trouver Ireena Kolyana. L'espoir de comprendre pourquoi ils ont été appelés en Barovie. L'espoir, peut-être, de venger Cassius en défiant celui qui règne sur cette terre de ténèbres.
Korven est le premier à se relever, grimaçant de douleur. Il tend la main à Gilda, l'aidant à se mettre debout. Marcus se lève à son tour, son regard s'attardant une dernière fois sur la Maison de la Mort.
« Adieu, mon ami », murmure-t-il. « Que ton âme trouve la paix que cette maison n'a jamais connue. »
Ils se détournent de la demeure maudite et commencent à marcher vers le village de Barovie. Chaque pas est douloureux, chaque mouvement leur rappelle leurs blessures. Mais ils avancent, car c'est tout ce qu'il leur reste à faire.
Avancer. Survivre. Se souvenir.
Et un jour, peut-être, trouver la rédemption dans cette terre sans espoir.