La première lueur grise du jour se lève sur Barovie, mais elle n'apporte aucune chaleur, aucun réconfort. C'est une aube fantomatique qui filtre péniblement à travers le brouillard épais, révélant progressivement l'horreur du village qui s'étend devant eux.
Korven, Marcus et Gilda se tiennent devant la Maison de la Mort, leurs corps meurtris témoignant de l'enfer qu'ils viennent de traverser. Derrière eux, la demeure maudite achève sa transformation. Sous leurs yeux stupéfaits, les pièces se murent une à une, les briques apparaissant comme par magie pour sceller les fenêtres et les portes. Les murs suintants cessent de transpirer leur liquide noirâtre. Les lames de faux disparaissent.
La maison se referme sur elle-même, piège sa dernière victime dans ses entrailles, et retrouve peu à peu l'apparence trompeuse d'une demeure abandonnée ordinaire.
« Nous avons eu de la chance », murmure Gilda, sa voix encore tremblante. « Quelques instants de plus et nous aurions été enfermés pour toujours. »
Marcus ne répond pas. Il fixe la maison avec un regard vide, pensant à Cassius qui repose quelque part dans les profondeurs, prisonnier pour l'éternité de cette tombe de pierre et de corruption.
Le temps s'est comme suspendu pendant qu'ils étaient à l'intérieur. Ils ne savent pas combien d'heures — ou de jours — se sont écoulées dans les souterrains. Mais maintenant, le jour se lève, révélant progressivement le village de Barovie dans toute sa désolation.
De hautes silhouettes émergent de la brume omniprésente. Des maisons, pour la plupart. Mais dans quel état. Les bâtisses sont dans un triste état de délabrement, certaines à moitié effondrées, d'autres barricadées avec des planches clouées en travers des fenêtres depuis si longtemps que le bois a pourri sur place.
Le sol boueux sous leurs pieds laisse progressivement place à des pavés humides et glissants. Il n'y a aucun son qui vient briser le silence oppressant. Aucun chant d'oiseau. Aucun bruit d'activité humaine. Seulement, au loin, de tristes et lointains sanglots qui semblent provenir de quelque part dans le village.
« Quelqu'un pleure », remarque Korven, la main sur le pommeau de son épée.
Et au-dessus d'eux, dominant tout le paysage, se dressent les hautes tours d'un château. Un château de style gothique, tout en pierres sombres et en flèches élancées, perché sur un promontoire rocheux qui surplombe le village de plusieurs centaines de mètres. Même de cette distance, ils peuvent distinguer les contreforts volants, les fenêtres en ogive, les remparts crénelés.
Le Château Ravenloft. La demeure de Strahd von Zarovich.
« On ne peut pas l'atteindre depuis le village », observe Marcus. « Il faudrait sortir d'ici et emprunter un chemin de montagne. »
Gilda frissonne malgré elle. Le château dégage une présence palpable, même à cette distance. Comme s'il les observait, jugeait, attendait.
Ils se mettent en marche, leurs pas résonnant sur les pavés humides. Les rues sont désertes. À travers les rares fenêtres non barricadées, ils aperçoivent des gens blottis les uns contre les autres dans la pénombre de leurs demeures. Des familles entières serrées les unes contre les autres, des bougies allumées même en plein jour, attendant que la lumière soit suffisante pour oser sortir.
Gilda, avec son œil de clerc, remarque immédiatement les symboles religieux dans chaque pièce qu'elle peut apercevoir. Des croix. Des représentations du Seigneur Matinal. Des cercles de protection gravés dans le bois ou peints sur les murs. Chaque maison est un petit sanctuaire fortifié contre les ténèbres.
« Ces gens vivent dans la terreur », dit-elle doucement. « Ils se barricadent chaque nuit, priant que le jour se lève. »
Korven serre les dents. « Et personne ne les aide. Personne ne vient les secourir. »
« Comment le pourraient-ils ? » répond Marcus. « Nous avons franchi les brumes par accident, attirés par une lettre mystérieuse. Mais qui viendrait volontairement en Barovie ? Qui même connaît son existence ? »
La question reste en suspens, lourde de implications.
Ils progressent vers ce qui semble être le centre du village. La rue dans laquelle ils se trouvent est étroite, mais plus loin, ils distinguent une artère plus large qui traverse le village d'est en ouest. C'est vers là qu'ils se dirigent, espérant trouver quelque établissement — une auberge, une taverne, n'importe quel endroit où ils pourraient se reposer et obtenir des informations.
« Nous devrions trouver un endroit où dormir », suggère Gilda, s'appuyant lourdement sur son marteau qu'elle utilise comme une canne improvisée. « Nous avons épuisé toutes nos ressources dans cette maison maudite. »
Mais Marcus secoue la tête. « Il fait jour maintenant. Nous avons déjà bénéficié d'un repos dans les souterrains, quand nous nous sommes barricadés dans la chambre. Nous pouvons continuer. »
Ils arrivent finalement sur la place centrale du village. Deux bâtiments se démarquent du reste des constructions délabrées.
Le premier est un commerce. À travers ses fenêtres aux épais rideaux tirés filtre une faible lumière. Une enseigne grince au-dessus de la porte, se balançant dans une brise inexistante : « Commerce de Bildrath ».
Le second attire immédiatement leur attention. Au-dessus de la place, un unique faisceau de lumière perce le brouillard épais, créant un pilier lumineux presque tangible qui éclaire l'entrée d'une taverne. L'enseigne, suspendue de travers, indique : « Le Sang sur les Vignes ». Quelqu'un a barré le mot « des » et écrit « sur » à la place.
« Une taverne », dit Korven avec un soupir de soulagement. « Nous pourrons peut-être négocier une chambre. »
« Et obtenir des informations », ajoute Marcus.
Ils se dirigent vers l'établissement, poussent la porte, et entrent.
L'intérieur de la taverne offre un contraste saisissant avec la désolation extérieure. C'est une grande bâtisse, environ vingt mètres de côté, remarquablement bien entretenue pour Barovie. Des lampes à huile éclairent chaque recoin, chassant les ombres avec une détermination presque frénétique.
À leur gauche, trois femmes sont assises autour d'une table. Elles portent des vêtements colorés, pimpants — des robes rouges, jaunes et vertes ornées de broderies complexes, des foulards aux motifs vifs, des bijoux qui tintent à chaque mouvement. Leur style vestimentaire tranche violemment avec la grisaille ambiante de Barovie. Elles discutent entre elles en riant, semblant enjouées et insouciantes.
Au comptoir, un homme solitaire sirote un verre de vin. Il lève la tête à leur entrée et leur fait un signe de la main amical, presque joyeux.
Derrière le comptoir, le tavernier essuie des verres méthodiquement. Il a le visage fermé, les traits tirés, et ne lève même pas les yeux à leur arrivée. Il nettoie un verre, le pose, en prend un autre, le nettoie, le pose, reprend le premier. Un cycle sans fin, mécanique, presque hypnotique.
Et tout au fond de la salle, dans un coin plongé dans l'ombre malgré l'éclairage abondant, une silhouette solitaire est assise. Une silhouette qu'ils reconnaissent immédiatement.
Cassius.
Le temps semble se figer. Marcus sent ses jambes se dérober sous lui. Gilda laisse échapper un hoquet étouffé. Korven porte instinctivement la main à son épée, comme si la figure devant eux ne pouvait être qu'une illusion, un piège, un fantôme.
Mais non. C'est bien Cassius. Assis tranquillement à une table isolée, un verre de vin devant lui, regardant ses compagnons avec un sourire las.
« C'est un fantôme », murmure Korven. « Ne nous approchons pas. »
« C'est pas un fantôme », répond Gilda d'une voix tremblante. « Je... je le sens. C'est vraiment lui. »
Marcus fait quelques pas hésitants vers leur compagnon disparu. « Cassius ? C'est vraiment toi ? »
Le magicien hausse les épaules, un geste tellement familier que les derniers doutes s'évaporent. « Je sais pas trop ce qui s'est passé. J'ai... j'ai été tué. Je m'en souviens. Cette créature, dans la prison. Je me souviens de la douleur, puis... plus rien. »
Ils s'approchent rapidement, entourant leur ami comme pour s'assurer de sa réalité. Gilda tend une main tremblante et touche son épaule. Chair et os. Bien réel.
« Comment es-tu ici ? » demande Korven, la voix éraillée par l'émotion. « Nous t'avons cru mort. Nous... nous pensions t'avoir perdu. »
Cassius prend une gorgée de vin, son regard perdu dans le vide. « Il s'est passé quelque chose. Après ma mort. J'étais... ailleurs. Dans un autre plan. Tout était blanc, brumeux. Il n'y avait rien de défini, aucun détail. Juste... de la brume. »
Il marque une pause, cherchant ses mots. « Il y avait quelqu'un. Je l'ai vu de dos seulement. J'ai entendu sa voix. Il m'a parlé. Il m'a dit qu'il voulait nous aider, que nous menions le bon combat. Il m'a dit que si nous avions besoin d'aide, nous n'avions qu'à prier. »
« Tu l'as vu ? » demande Marcus, soudain très attentif. « Tu as vu son visage ? Un symbole ? N'importe quoi qui pourrait l'identifier ? »
Cassius secoue la tête. « Non. Il était de dos. Sa voix... c'était juste une voix. Masculine, je pense. Mais rien de distinctif. Et puis il m'a ramené. Je me suis retrouvé ici, dans cette taverne, comme si rien ne s'était passé. »
Gilda s'assoit lourdement à la table, ses mains tremblant légèrement. En tant que clerc de Moradin, elle connaît les récits de résurrections divines. Mais celles-ci nécessitent généralement des rituels élaborés, des prières spécifiques, des composantes matérielles précieuses. Une intervention divine aussi directe, aussi spontanée...
« Quelqu'un t'a ressuscité », dit-elle doucement. « Une entité puissante. Très puissante. »
Marcus fronce les sourcils. « Et cette entité pense que nous menons le bon combat. Quel combat ? Nous sommes juste des aventuriers piégés en Barovie. »
« Peut-être que notre mission a plus d'importance que nous ne le pensions », suggère Korven. « Ces lettres qui nous ont attirés ici... »
« L'une était un faux », rappelle Gilda. « Nous l'avons vu dans la Maison de la Mort. Strahd lui-même a écrit aux Durst pour se moquer de leurs ambitions. »
« Mais l'autre », continue Cassius, reprenant peu à peu ses esprits. « La lettre trouvée sur le cadavre. Celle du Bourgmestre Kolyan Indirovich. Elle était authentique. »
Marcus se redresse. « Alors notre destination reste la même. Trouver Ireena Kolyana. Comprendre pourquoi nous avons été appelés. »
« Je suis choqué et soulagé en même temps », avoue Korven, passant une main tremblante dans ses cheveux. « C'est... c'est difficile à expliquer. Je te croyais mort, mon ami. Mort à cause de mes erreurs. »
« Ce n'était pas ta faute », répond fermement Cassius. « C'était cette maison maudite. Cette terre corrompue. Mais je suis revenu. Quelqu'un a jugé que je devais revenir. »
Gilda, toujours ébranlée, pose la question qui la tourmente. « Cassius, as-tu prié un dieu spécifique ? As-tu invoqué un nom ? »
« Non », répond le magicien. « Je ne suis pas religieux, tu le sais. Quand j'étais dans ce... cet entre-deux, je n'ai pas prié. »
« Et pourtant tu as été ramené », murmure-t-elle. « Sans prière. Sans rituel. Juste... ramené. »
Elle se tourne vers Marcus, son visage grave. « En tant que clerc, je dois te dire : ce genre d'intervention divine spontanée est extrêmement rare. Les dieux n'agissent généralement pas ainsi. Il y a des règles, des protocoles. Même Moradin, que je sers, exigerait un rituel approprié pour ramener quelqu'un de la mort. »
Un silence pesant s'installe autour de la table. L'implication est claire : qui que soit cette entité, elle est immensément puissante et a un intérêt direct dans leur mission.
« Bien », finit par dire Korven, brisant le silence. « Alors nous continuons. Ensemble, cette fois. Plus de séparation. »
« Plus de séparation », acquiescent les autres.
C'est alors que l'homme au comptoir se lève et s'approche de leur table. Il est jeune, vigoureux, vêtu de vêtements qui ont connu des jours meilleurs mais qui gardent une certaine qualité. Il a le visage hâlé d'un homme qui passe du temps à l'extérieur, mais ses traits sont marqués par le stress et le manque de sommeil.
« Bonjour », dit-il avec un sourire qui n'atteint pas tout à fait ses yeux. « Je m'appelle Ismark Kolyanovich. Je suis le fils du Bourgmestre Kolyan Indirovich. »
Les quatre aventuriers échangent un regard. Le Bourgmestre. L'auteur de la lettre authentique.
« Nous avons reçu des lettres de votre père », dit Marcus, sortant les deux missives de sa besace. « Nous sommes venus répondre à son appel à l'aide. »
Ismark prend les lettres, les examine attentivement. Quand il regarde la première — celle trouvée à l'auberge — son visage se durcit. « Ce n'est pas l'écriture de mon père. Quelqu'un d'autre a écrit ceci. »
Puis il regarde la seconde, celle trouvée sur le cadavre dans la forêt. Son expression change, devenant sombre, douloureuse. « Celle-ci, oui. C'est bien son écriture. Il... il a tenté d'appeler à l'aide. De trouver quelqu'un qui pourrait nous sortir de ce cauchemar. »
« Votre père », commence Gilda doucement. « La lettre mentionne Ireena. Elle dit qu'elle a été mordue par un vampire. »
Le visage d'Ismark se ferme immédiatement. Il jette un coup d'œil nerveux autour de lui, comme s'il craignait d'être entendu. Puis il se penche vers eux, baissant la voix.
« Je ne sais pas de quoi vous parlez », dit-il, mais le tremblement dans sa voix trahit le mensonge.
Gilda fait un jet de perspicacité. Elle voit les signes clairement : les mains qui se crispent, les yeux qui fuient, la respiration qui s'accélère légèrement. Cet homme leur ment. Et il n'est pas doué pour ça.
« Ismark », dit-elle fermement. « Nous sommes venus pour aider. Nous avons traversé les brumes, affronté une maison maudite, perdu et retrouvé un compagnon. Nous sommes de votre côté. Mais nous avons besoin de la vérité. »
Le jeune homme reste silencieux un long moment, luttant visiblement avec lui-même. Finalement, il pousse un long soupir.
« Il a jeté son dévolu sur elle », continue Ismark, sa voix à peine audible. « Je ne sais pas pourquoi. Mais toutes les nuits, il vient. Toutes les nuits, ses serviteurs attaquent notre manoir. Des loups. Des créatures mortes-vivantes. Encore et encore. »
Les mots tombent comme des pierres dans un puits sans fond.
« Et votre père ? » demande Marcus.
« Il est toujours au manoir. Mais ce n'est pas fini. Ma sœur a besoin d'aide. Elle doit quitter ce village, aller quelque part où Strahd ne pourra pas la trouver. Il y a une ville, Vallaki, à l'ouest. Elle y serait en sécurité », répond Ismark.
« Et vous voulez que nous l'y escortions », conclut Korven.
« Oui. En échange, je peux vous offrir l'hospitalité dans notre manoir. Vous pourrez vous reposer, vous soigner. Nous avons quelques provisions, quelques ressources. »
Les quatre aventuriers se consultent du regard. C'est exactement la mission décrite dans la lettre authentique.
«Très bien, nous pouvons vous aider », conclut Korven.
Ismark les regarde avec gratitude. « Merci. Vous ne savez pas ce que cela signifie pour nous. Venez, je vais vous conduire au manoir. Vous pourrez rencontrer ma sœur. »
Ils terminent leurs verres — le vin est acide et âpre, mais c'est mieux que rien — et suivent Ismark hors de la taverne.
En sortant, Cassius jette un dernier regard au tavernier qui continue mécaniquement à nettoyer ses verres, encore et encore, comme un automate brisé piégé dans une boucle éternelle. Les trois Vistani leur adressent des sourires éclatants qui semblent terriblement déplacés dans ce village de mort et de désespoir.
Dehors, le jour s'est un peu levé, mais la lumière reste grise, terne, sans chaleur. Le brouillard s'est légèrement dissipé, révélant mieux les rues délabrées du village.
Ismark les guide vers le sud, descendant une rue bordée de maisons en ruine. Certaines ont été incendiées, leurs fenêtres béantes comme des orbites vides. D'autres sont simplement abandonnées, leurs portes pendant sur des gonds rouillés.
Le manoir se révèle être une structure imposante, ou du moins qui a dû l'être autrefois. Maintenant, il est affaissé, tapi derrière deux hautes grilles de fer rouillées. La grille droite est complètement arrachée de ses gonds, celle de gauche pend mollement, se balançant dans une brise qui n'existe pas, créant un grincement métallique répétitif et régulier. Le son résonne comme un métronome de la folie.
La mauvaise herbe a envahi le jardin et s'approche dangereusement de la maison elle-même. La végétation le long des murs a été piétinée, formant un chemin circulaire autour de la propriété — les traces des assaillants nocturnes.
Les murs portent des marques de griffes qui ont arraché le revêtement par larges traînées. De grandes traînées noires témoignent des nombreux incendies qu'a subis le manoir. Toutes les fenêtres sont barricadées avec des planches, et ces planches elles-mêmes portent des traces de mains ensanglantées, de griffures désespérées.
C'est une forteresse assiégée. Un dernier bastion contre les ténèbres.
Ismark frappe à la porte selon un rythme spécifique — visiblement un code. Après un moment, ils entendent des verrous qu'on tire, des chaînes qu'on défait. La porte s'entrouvre prudemment.
Une jeune femme apparaît. Elle a peut-être vingt ans, de longs cheveux auburn qui encadrent un visage pâle et émacié. Ses yeux sont d'un bleu profond, mais cernés par le manque de sommeil et la peur constante. Elle porte une robe simple mais de bonne qualité, et autour de son cou, un foulard de soie.
« Ireena », dit Ismark. « J'ai ramené de l'aide. Ce sont des aventuriers. »
Ireena les regarde longuement, évaluant. Puis elle hoche la tête et ouvre la porte en grand. « Entrez. Vite. »
Ils pénètrent dans le manoir et Ireena referme rapidement la porte derrière eux, repoussant tous les verrous.
L'intérieur est convenablement meublé, mais montre des signes évidents de grande vétusté et de négligence récente. Il y a de la poussière partout. Des symboles sacrés sont accrochés dans chaque pièce — des croix, des représentations du Seigneur Matinal, des cercles de protection gravés dans le bois ou peints sur les murs.
Ismark les guide vers un salon annexe. Et là, au centre de la pièce, repose un simple cercueil de bois.
Le Bourgmestre Kolyan Indirovich.
Des fleurs fanées entourent le cercueil. Une faible odeur de pourriture flotte dans l'air — le corps commence à se décomposer malgré les efforts pour le préserver.
Un voile de douleur passe sur le visage d'Ismark. « Mon père... il a tenu aussi longtemps qu'il a pu. Des semaines d'attaques nocturnes. Des semaines à entendre les grattements, les hurlements, à sentir la maison trembler sous les assauts. Son cœur a lâché. Il est mort d'épuisement et de terreur. »
Ireena frissonne. « Oui. Pendant des semaines, ils sont venus. Toutes les nuits. Des loups qui grattaient aux murs, qui essayaient de briser les portes. Des créatures mortes qui tambourinaient aux fenêtres. Mon père... il a tenu aussi longtemps qu'il pouvait. Mais son cœur... »
Sa voix se brise. Ismark pose une main réconfortante sur son épaule.
Gilda sort son kit de médecine et s'approche du cercueil. « Puis-je ? »
Ireena hoche la tête.
La clerc examine le corps. Elle voit un homme âgé, le visage marqué par une anxiété extrême. Ses traits sont tirés, sa bouche figée dans une grimace qui pourrait être de douleur ou de peur. Il n'y a aucune marque de violence physique — pas de blessures, pas de sang.
Elle conclut que l'homme est mort d'une crise cardiaque, probablement provoquée par un stress et une anxiété prolongés. Rien de surnaturel. Juste un cœur humain qui a fini par céder sous le poids de la terreur constante.
« Il est mort d'épuisement », confirme-t-elle doucement. « Son cœur n'en pouvait plus. »
Ireena essuie une larme. « Je sais. Je sais. »
« Et depuis qu'il est mort ? » demande Korven. « Les attaques ont-elles continué ? »
Ismark secoue la tête. « Non. Depuis trois jours, plus rien. Pas un bruit. Pas une créature. C'est comme si... comme si Strahd attendait quelque chose. »
Un silence pesant s'installe. L'implication est claire et terrifiante : Strahd n'a plus besoin de terroriser le Bourgmestre. Il est mort. Mission accomplie. Maintenant, le vampire peut se concentrer sur sa véritable cible.
« Avez-vous été mordue », demande brutalement Gilda.
Ireena hésite, cherche ses mots puis Ismark intervient. « La vérité, Ireena, la vérité… »
Le silence qui suit est lourd. Ismark et Ireena échangent un regard.
Lentement, avec des mains tremblantes, Ireena défait son foulard.
Deux marques de morsure sont clairement visibles sur son cou. Deux petits trous, propres, qui ont déjà commencé à cicatriser mais qui restent nettement visibles. Et non pas une fois, mais deux. Elle a été mordue deux fois.
Gilda examine les marques de près. Avec ses connaissances de clerc, elle reconnaît les signes. « Tu n'es pas encore vampire », dit-elle. « Pour cela, il faudrait que Strahd boive tout ton sang, puis que tu boives le sien. Mais ces morsures... elles sont dangereuses. »
« Je ne me souviens pas », murmure Ireena. « Je m'endors le soir, et je me réveille avec ces marques. Tout est flou. Je sais qu'il vient. Je sens sa présence. Mais je ne peux rien faire. »
« Il te charme », explique Cassius. « C'est un pouvoir des vampires. Il entre dans tes rêves, contrôle ton esprit, te fait oublier. »
« C'est pour ça que je m'enferme chaque nuit », continue Ireena. « Dans ma chambre. Avec des symboles sacrés partout. Strahd n'a jamais été invité dans cette maison, donc il ne peut pas y entrer physiquement. Mais ses sbires... ses loups, ses morts-vivants... ils peuvent terrifier de l'extérieur. »
« Et les morsures ? » demande Marcus. « Comment t'a-t-il mordue s'il ne peut pas entrer ? »
Ireena baisse les yeux. « Je... je suis sortie. La première fois, c'était il y a plusieurs semaines. J'avais besoin d'air frais. Je suis sortie dans le jardin, juste quelques instants. C'est tout ce qu'il lui a fallu. La seconde fois... je ne sais pas. Je ne me souviens pas. Peut-être ai-je ouvert une fenêtre. Peut-être l'ai-je invité sans le savoir, sous son charme. »
Ismark serre les poings. « C'est pour ça qu'elle doit partir. Avant qu'il ne revienne. Avant qu'il n'achève ce qu'il a commencé. »
« Ma sœur a besoin d'aide. Elle doit quitter ce village, aller quelque part où Strahd ne pourra pas la trouver. Il y a une ville, Vallaki, à l'ouest. Elle y serait en sécurité », murmure Ismark.
« Nous la protégerons », promet Korven. « Sur ma vie. »
« Il y a un problème », dit Ismark, hésitant. « Ma sœur refuse de partir tant que notre père n'est pas enterré dignement. Et personne au village ne veut nous aider. Ils ont trop peur de devenir la prochaine cible de Strahd. »
« Vous voulez que nous portions le cercueil jusqu'au cimetière », dit Marcus.
« Oui. L'église est au nord du village, avec son cimetière. Le père Donavich pourra célébrer les funérailles. Une fois que père sera enterré, Ireena acceptera de partir. »
Gilda hoche la tête. « À quatre, nous devrions pouvoir porter un cercueil. »
« À trois », corrige Cassius. « Je n'ai pas exactement retrouvé toutes mes forces après... tout ça. »
« Nous vous aiderons », dit Gilda fermement. « Demain matin, nous porterons votre père au cimetière et le père Donavich célébrera les funérailles. Ensuite, nous vous escorterons jusqu'à Vallaki. »
Ireena les regarde, ses yeux brillants de larmes contenues. « Merci. Vous ne savez pas ce que cela signifie. »
Ismark leur montre ensuite des chambres à l'étage où ils pourront se reposer. Chaque chambre est équipée de symboles sacrés, de croix aux murs, de sel disposé sur les rebords de fenêtres. Des précautions contre les créatures de la nuit.
« Vous devriez dormir », suggère Ismark. « Demain sera une longue journée. »
Mais Marcus secoue la tête. « Il fait jour maintenant. Nous devrions en profiter pour aller au village, voir ce commerce dont vous avez parlé. Nous avons besoin d'équipement. »
Ismark acquiesce. « Le Commerce de Bildrath. »
Cassius et Marcus décident d'aller voir ce commerce pendant que Korven et Gilda restent au manoir pour se reposer.
Les deux aventuriers retournent sur la place centrale. Le Commerce de Bildrath est fermement barricadé, mais en frappant à la porte, ils obtiennent une réponse.
Un homme ouvre — grand, corpulent, le visage dur et les yeux calculateurs. « Vous voulez acheter ? »
« Nous avons besoin d'équipement », dit Cassius.
Bildrath les laisse entrer. L'intérieur est étonnamment bien fourni — des armes, des armures, des outils, des provisions, des potions. Tout ce dont un aventurier pourrait avoir besoin.
Mais les prix.
Une simple trousse de soins, qui coûte normalement cinq pièces d'or, est vendue cinquante. Une potion de soins basique, normalement cinquante pièces d'or, est proposée à cinq cents.
« C'est du vol », grogne Marcus.
Bildrath hausse les épaules avec indifférence. « Si vous en avez vraiment besoin, vous paierez le prix. Je suis le seul marchand de la ville. »
Ils tentent de négocier. Cassius fait appel à sa compassion — ils sont venus pour aider le village. Marcus tente la raison, un marchand mort ne vend rien.
Mais Bildrath ne cède pas un seul pouce. Son visage reste impassible, ses bras croisés sur sa poitrine massive. « Mes prix sont mes prix. À prendre ou à laisser. »
Finalement, frustrés, les deux aventuriers quittent le commerce les mains vides. Ils n'ont tout simplement pas assez d'argent pour acheter quoi que ce soit aux prix exorbitants de Bildrath.
Sur le chemin du retour, ils entendent le grincement. Un bruit de roues de bois sur les pavés humides.
Une silhouette voûtée apparaît au coin d'une rue, poussant une charrette de bois branlante. C'est une vieille femme, vêtue de haillons sales, courbée par l'âge ou le poids de quelque fardeau invisible. Elle fait du porte-à-porte, frappant aux maisons l'une après l'autre.
La plupart ne répondent pas. Mais finalement, une porte s'ouvre. Une famille apparaît — un homme, une femme, leurs visages marqués par le chagrin et le désespoir. La mère pleure doucement.
La vieille femme parle avec eux, mais de trop loin pour que les aventuriers entendent les mots. Puis, l'impensable se produit.
La mère tend un enfant — un petit garçon de peut-être sept ans — vers la vieille femme. L'enfant pleure, se débat faiblement, appelle ses parents. Mais la vieille le met dans un grand sac de toile qu'elle porte sur sa charrette.
En échange, elle tend aux parents plusieurs tourtes. Des pâtisseries dorées qui fument légèrement dans l'air froid.
Les parents prennent les tourtes et referment rapidement leur porte. On entend leurs sanglots étouffés à travers le bois.
La vieille femme continue son chemin, la charrette grinçant, le sac se tortillant.
« Par tous les dieux », souffle Marcus, horrifiée. « Cette femme vient d'acheter un enfant. »
Marcus ne peut pas laisser faire ça. Pas question. Il s'avance vers la vieille femme d'un pas décidé. Il rattrape la vieille femme en quelques enjambées.
« Vous », dit-il d'une voix ferme. « Libérez cet enfant. »
La vieille se retourne lentement. Son visage est un réseau de rides profondes, ses yeux sont d'un gris laiteux qui pourrait être la cataracte ou quelque chose de pire. Elle sourit, révélant des gencives presque entièrement édentées.
« Vous voulez des tourtes ? » demande-t-elle d'une voix croassante. « J'en ai de belles. Fraîches. »
« Non. Je veux que vous libériez l'enfant. »
Le sourire de la vieille s'élargit. « Oh, mais il est à moi maintenant. Ses parents me l'ont donné. En paiement. »
« Combien ? » demande Marcus. « Combien pour le racheter ? »
« Il est à moi maintenant. Ses parents me l'ont donné. En paiement. »
Marcus grimace. Il n'a que dix pièces d'or sur lui.
« Cinquante pièces d'or », dit Cassius en s'approchant.
La vieille rit, un son comme du gravier roulant dans un seau de fer. « Non, non. L'enfant est à moi. »
Marcus n'hésite plus. Avec la rapidité d'un serpent, il attrape le sac qui contient l'enfant et tire. La vieille résiste un instant, sa poigne étonnamment forte pour quelqu'un de si frêle en apparence. Puis elle soupire et lâche prise.
« Très bien », grommelle-t-elle. « Gardez-le. »
Marcus ouvre le sac. Le petit garçon en sort, terrifié, les yeux rougis par les larmes. Dès qu'il voit ses sauveurs, il court vers la maison de ses parents et frappe frénétiquement à la porte.
La porte s'ouvre. Les parents voient leur fils. Pendant un instant, ils restent figés, comme incapables de comprendre. Puis la mère se précipite, attrape l'enfant et le tire à l'intérieur. La porte claque, on entend le bruit de plusieurs verrous qu'on tire.
La vieille femme tourne sa charrette et s'éloigne, le grincement des roues résonnant dans la rue vide.
Ils retournent au manoir alors que le jour commence déjà à décliner. En Barovie, les journées sont courtes, le soleil — ou ce qui en tient lieu — ne restant visible que quelques heures.
Marcus et Cassius confient leur étonnement vis à vis de la vendeuse de tourtes et du kidnapping de l’enfant. « Non », corrige sombrement Ismark. « Elle l'a vendu. Les tourtes. C'est ce qu'elles vendent, les vendeuses du Moulin à Os. Elles prennent en paiement ce qu'elles veulent. De l'argent, des objets de valeur... ou des enfants. »
Korven serre les poings. « Et personne ne fait rien ? »
« Que pouvons-nous faire ? » répond Ismark, sa voix teintée d'amertume. « Ces femmes sont dangereuses. Elles disent qu'elles prennent soin des enfants, que c'est mieux pour eux. Mais personne ne les revoit jamais. »
« Les tourtes », dit Marcus, comprenant soudain. « Qu'y a-t-il dans les tourtes ? »
« Nous ne savons pas », admet Ismark. « Mais ceux qui les mangent disent qu'elles apportent du réconfort. Qu'elles font oublier les horreurs de Barovie, même temporairement. Les gens désespérés... ils sont prêts à payer n'importe quel prix pour quelques heures de paix. »
Un lourd silence prend place.
Ismark et Ireena leur préparent un repas simple mais nourrissant. Du pain, du fromage, de la viande séchée. Rien d'extraordinaire, mais après l'enfer de la Maison de la Mort, c'est un festin.
Pendant qu'ils mangent, Ireena leur parle de Vallaki. « C'est une ville fortifiée à l'ouest d'ici. Plus grande que notre village. Il y a une église là-bas, dédiée au Seigneur Matinal. Le prêtre pourrait m'aider, me protéger. »
« Et si ça ne suffit pas ? » demande Korven.
« Alors il y a Kresk », répond Ismark. « Une ville encore plus loin à l'ouest. Il y a là-bas l'Abbaye de Sainte-Marcovitch. Si quelqu'un peut tenir Strahd à distance, ce sont bien les moines de cette abbaye. »
La conversation se poursuit, plans et stratégies s'élaborent. Mais tous évitent soigneusement de parler de l'éléphant dans la pièce : que se passera-t-il si Strahd les poursuit ? Si le vampire décide que leur intervention dans ses plans n'est pas acceptable ?
La nuit est tombée. Ireena se retire dans sa chambre, s'enfermant avec tous les verrous. Ismark fait le tour du manoir, vérifiant que toutes les fenêtres et portes sont bien barricadées.
Les quatre aventuriers se retirent dans leurs chambres respectives. Ils dorment peu, l'oreille tendue vers le moindre bruit suspect. Mais la nuit reste calme. Pas de grattements. Pas de hurlements. Juste le silence pesant de Barovie.
À l'aube — si on peut appeler ça l'aube — ils se lèvent. Ils sont reposés. Soignés par les bandages et les soins d'Ismark et Ireena pendant la nuit. Prêts pour ce qui doit suivre.
« Il est temps », dit Ismark.
Ensemble — Gilda, Marcus et Korven — ils soulèvent le cercueil du Bourgmestre. Il est lourd, mais à trois, ils peuvent le porter. Cassius marche devant, éclairant le chemin avec sa lumière magique.
Ils sortent du manoir et se dirigent vers le nord, vers l'église. Ireena suit en procession, vêtue de noir, le visage pâle mais digne.
Les rues sont toujours désertes. Quelques visages apparaissent aux fenêtres, observant le cortège funèbre, mais personne ne sort. Personne ne se joint à eux. La peur est trop forte.
L'église se dresse au nord du village. C'est un bâtiment de pierre grise, au toit pointu, avec un petit clocher. Elle a l'air solide, bien entretenue — un des rares bâtiments de Barovie qui n'est pas en ruine.
Alors qu'ils approchent, la porte de l'église s'ouvre brusquement. Un homme en sort précipitamment, refermant la porte derrière lui avec un claquement sec.
C'est le père Donavich. Il est âgé, peut-être soixante ans, avec des cheveux gris ébouriffés et une barbe mal taillée. Son visage est creusé par l'épuisement, ses yeux cernés de noir. Il porte une simple robe de prêtre, sale et froissée.
Quand il les voit porter le cercueil, son visage se décompose. « Non ! Oh non, pas le Bourgmestre ! »
Il se précipite vers eux. « Depuis combien de temps ? Pourquoi n'êtes-vous pas venus avant ? »
« Personne ne voulait nous aider », répond Ismark calmement. « Ces gens ont accepté. »
Donavich regarde les quatre aventuriers, et quelque chose comme de la gratitude traverse son visage tourmenté. « Merci. Merci. Suivez-moi au cimetière. »
Il les guide derrière l'église, vers une grille de fer forgé qui clôture un petit cimetière. Des dizaines de tombes serrées les unes contre les autres, certaines très anciennes, d'autres plus récentes. Une nappe de brouillard rampe entre les pierres tombales.
Donavich montre un emplacement où un trou a déjà été creusé. « Nous gardons toujours une place prête. On ne sait jamais quand... »
Sa voix s'éteint.
Ils déposent le cercueil près du trou. Donavich commence les prières. Il invoque le Seigneur Matinal, le dieu de l'aube et de la lumière, patron de Barovie depuis des temps immémoriaux.
« Seigneur Matinal, accueille ton serviteur Kolyan Indirovich. Il a servi son peuple avec honneur et courage. Il a tenu bon face aux ténèbres. Permets que son âme trouve la paix. Permets qu'elle quitte cette terre maudite et rejoigne ta lumière éternelle. »
Les mots résonnent avec une intensité particulière. Qu'elle quitte cette terre maudite. Comme si les âmes elles-mêmes étaient prisonnières de Barovie.
Ils descendent le cercueil dans la fosse. Puis, en silence, ils commencent à pelleter la terre. Le travail est dur, physique, mais presque méditatif. Chaque pelletée de terre est un adieu. Chaque geste est un honneur rendu.
Ireena pleure doucement. Ismark reste stoïque, mais ses mains tremblent légèrement.
Quand c'est fini, quand le monticule de terre marque l'emplacement de la dernière demeure du Bourgmestre, Donavich fait un dernier signe de bénédiction.
« Qu'il repose en paix. »
Ireena s'agenouille près de la tombe et pose une main sur la terre fraîchement retournée. « Au revoir, père », murmure-t-elle. « Je suis désolée. Je suis tellement désolée. »
Ismark s'agenouille à côté d'elle et l'entoure de son bras. Ils restent ainsi un long moment, frère et sœur unis dans leur chagrin.
Finalement, Ireena se relève. Ses yeux sont rouges, mais son visage est déterminé. « Maintenant, je suis prête. Je partirai pour Vallaki. »
Donavich se tourne vers les aventuriers. « Vous allez l'escorter ? »
« Oui », confirme Marcus.
« Que le Seigneur Matinal vous protège », dit le prêtre. « Vous en aurez besoin. La route vers Vallaki passe par le Moulin à Os et traverse des forêts dangereuses. Méfiez-vous des loups. Méfiez-vous des morts qui marchent. Et surtout... »
Il hésite, puis continue à voix basse : « Méfiez-vous de Strahd lui-même. Si vous attirez son attention... »
Il ne finit pas sa phrase. Il n'a pas besoin.
Alors qu'ils s'apprêtent à partir, Gilda entend quelque chose. Un cri étouffé, venant de sous l'église.
Elle tend l’oreille. Elle entend clairement : « Père ! Je meurs de faim ! Aidez-moi ! »
C'est une voix masculine, jeune, désespérée.
Gilda se fige. « Il y a quelqu'un sous l'église. »
« Quoi ? » dit Marcus. « Je n'entends rien. »
Mais Gilda est sûre de ce qu'elle a entendu. Elle se tourne vers Donavich. « Qui est en bas ? »
Le visage du prêtre devient livide. Il tourne les talons et se précipite vers l'église, rentrant à l'intérieur et claquant la porte derrière lui.
Les aventuriers échangent un regard, puis le suivent.
L'intérieur de l'église est dans un désordre total. Les bancs sont renversés et cassés, jonchant le sol poussiéreux. Des dizaines de bougies sont plantées partout — dans des bougeoirs, des candélabres, directement sur le sol — créant une illumination intense qui élimine toute ombre. C'est comme si quelqu'un essayait désespérément d'éradiquer les ténèbres de l'église.
À l'autre bout se trouve un autel, derrière lequel Donavich est agenouillé, priant avec ferveur. À côté de lui pend une longue corde épaisse qui monte vers le clocher.
Et de sous le plancher, clairement audible maintenant pour tous, vient la voix : « Père ! Je meurs de faim ! »
Ismark, qui les a suivis, s'avance vers Donavich. « Où est Doru ? »
Le prêtre ne lève pas les yeux, continuant ses prières frénétiques.
« Où est Doru ? » répète Ismark, sa voix montant. « Il était avec les autres. Avec ceux qui sont allés attaquer Strahd. »
Finalement, Donavich lève la tête. Son visage est ravagé par le chagrin et la culpabilité. « Il est revenu. Il est le seul à être revenu. Mais il est revenu... changé. »
« Changé comment ? » demande Gilda, bien qu'elle connaisse déjà la réponse.
« Il a été mordu. Il se transforme en vampire. Je... je le garde au sous-sol. Je ne peux pas le tuer. C'est mon fils. »
La voix sous le plancher reprend, plus urgente : « Père ! J'ai faim ! J'ai tellement faim ! »
« Du sang ! » supplie-t-il. « Donne-moi du sang ! »
Gilda se tourne vers Donavich. « Vous ne pouvez pas le garder ainsi. Il devient un monstre. »
« Je sais ! » crie le prêtre, des larmes roulant sur ses joues. « Je sais ! Mais je ne peux pas le tuer. Pas mon fils. Pas mon fils. »
« Lui donnez-vous à manger ? » demande Cassius.
« Non. Non. Personne ne mérite d'être sacrifié pour nourrir un vampire. »
La situation est claire et terrible. Doru est en train de mourir de faim, se transformant lentement en vampire, mais son père ne peut se résoudre ni à le nourrir (ce qui nécessiterait du sang humain) ni à le tuer (ce qui serait un meurtre de son propre fils).
« Vous devez le laisser partir », dit Gilda fermement. « Ou le tuer. Mais vous ne pouvez pas le garder ainsi. C'est cruel pour lui et dangereux pour tout le village. »
Donavich secoue la tête violemment. « Je vais vivre avec mon malheur. Partez. Laissez-moi avec mon fils. »
Ismark pose une main sur l'épaule du prêtre. « Nous devons partir. Mais Donavich... vous devez prendre une décision. Bientôt. »
Le prêtre ne répond pas, retournant à ses prières désespérées.
Les aventuriers sortent de l'église, profondément troublés. La situation de Doru n'a pas de bonne solution. Seulement des choix impossibles.
« Bienvenue en Barovie », dit amèrement Ismark. « Où chaque jour apporte un nouveau cauchemar. »
Ils retournent au manoir en silence, chacun perdu dans ses pensées. Demain, ils partiront pour Vallaki. Ils prendront la route qui traverse le Moulin à Os, longe la forêt de Svalich, et mène — espérons-le — vers un endroit plus sûr.
Mais dans cette terre maudite, nulle part n'est vraiment sûr. Et quelque part, dans son château perché sur la montagne, Strahd von Zarovich observe. Attendant. Planifiant.
La partie d'échecs ne fait que commencer.