Chapitre 7 - Le tirage des cartes

Le matin se lève sur le manoir du Bourgmestre, révélant une aube grise et sans chaleur. Les quatre aventuriers se préparent en silence, vérifiant leur équipement, ajustant leurs armes. Ireena les observe depuis le seuil, son foulard serré autour du cou, dissimulant les marques vampiriques. Ismark est déjà dehors, scrutant les brumes matinales avec inquiétude.

« Nous devrions partir maintenant », dit Marcus. « Chaque heure qui passe est une heure de plus où Strahd peut changer d'avis. »

Gilda hoche la tête, son marteau solidement attaché à sa ceinture. Korven fait tourner ses épaules, testant la liberté de mouvement de son armure. Cassius, encore légèrement pâle de leur aventure dans la Maison de la Mort, serre son grimoire contre sa poitrine.

« Combien de temps pour atteindre Vallaki ? » demande Korven à Ismark.

Le jeune homme déplie une carte usée. « Une semaine de marche, peut-être moins si nous ne rencontrons pas trop d'obstacles. Et si Vallaki ne suffit pas... » Il marque une pause, son doigt traçant la route vers l'ouest. « Kresk est à une semaine supplémentaire. L'Abbaye Sainte-Marcovitch se trouve là-bas. Si quelqu'un peut tenir Strahd à distance, ce sont bien les moines. »

Ireena s'approche, une petite besace sur l'épaule. « Je suis prête. »

Ils quittent le village de Barovie alors que le soleil — si on peut appeler ainsi la lueur grisâtre qui filtre à travers les nuages — atteint son zénith. Les rues désertes, les maisons barricadées, le silence oppressant... tout cela s'éloigne progressivement derrière eux.

La route serpente entre les arbres imposants de la forêt de Svalich. Le brouillard rampe entre les troncs comme une créature vivante, se séparant à leur passage pour se refermer immédiatement derrière eux.

Vers midi, ils arrivent à un carrefour. Un panneau indicateur planté devant une potence marque trois directions : le village de Barovie à l'est, l'étang de Tserh au nord-ouest, et la route du sud menant vers Ravenloft et l'ouest de la Barovie.

Derrière la potence, un petit muret effondré délimite un cimetière voilé par la brume.

« Attendez », dit Korven, s'approchant des tombes. « Je vais jeter un coup d'œil. »

Il enjambe le muret et pénètre dans le petit cimetière. Les pierres tombales sont anciennes, érodées, illisibles. Certaines sont renversées. D'autres...

Un craquement résonne derrière lui.

Korven se retourne brusquement. Là où il n'y avait rien un instant auparavant, un corps gris pend maintenant à la potence. La brise fait lentement pivoter la silhouette jusqu'à ce qu'elle le fixe de son regard mort.

Et ce visage...

C'est le sien.

Korven voit son propre visage, gris et sans vie, la langue pendante, les yeux vitreux. Ses propres traits déformés par la mort.

« Korven ? » appelle Marcus. « Qu'est-ce qu'il y a ? »

Le guerrier cligne des yeux. La vision persiste. C'est lui, pendu là, mort.

« Vous... vous voyez le cadavre ? » demande-t-il d'une voix rauque.

« Oui », répond Gilda. « Un Barovien ordinaire. Pourquoi ? »

« Il... » Korven secoue la tête. « Il a mon visage. »

Les autres échangent un regard inquiet. Cassius s'avance, scrute le pendu. « Je vois un homme d'une quarantaine d'années. Pas toi. »

Korven agrippe le pommeau de son épée, ses jointures blanchissent. « Cette région me joue des tours. »

Ismark les rejoint, jetant un coup d'œil nerveux au pendu. « Il ne fait pas bon traîner ici. Si vous voulez vous arrêter pour la nuit, il y a un campement de Vistani au bord de l'étang de Tserh. Sinon, il faudra camper sur la route, et c'est dangereux. »

« La nuit ? » s'étonne Marcus. « Mais il est midi. »

« Regardez le ciel », dit Ismark. « La nuit tombe vite en Barovie. À 17 ou 18 heures, tout est déjà dans l'obscurité. Nous n'avons que quelques heures de lumière devant nous. »

Gilda fronce les sourcils. « Un campement Vistani... Comme le messager qui nous a amenés ici ? »

« Exactement. Et comme les trois femmes à la taverne. » Ismark hausse les épaules. « Les Vistani ne craignent pas Strahd. Ils ont une... entente avec lui. »

« Alors nous serons en sécurité là-bas », conclut Korven, heureux de s'éloigner du carrefour maudit et de sa vision macabre.

Ils bifurquent vers le nord-ouest. La route descend, disparaissant entre les arbres. Les ornières profondes indiquent un passage régulier de chariots.

Après une heure de marche, la voûte de branches et de brume s'éclaircit brusquement. Devant eux s'étend un petit lac d'une centaine de mètres de diamètre, ses eaux sombres reflétant les nuages noirs et furieux.

Cinq tentes rondes et colorées — d'un rouge vif, d'un jaune éclatant, d'un vert profond — forment un cercle autour de quatre roulottes aux toits arrondis. Une tente bien plus grande est dressée près de la berge, sa silhouette affaissée éclairée de l'intérieur par une lumière dorée.

Huit chevaux s'abreuvent librement à la rivière. Et autour d'un grand feu, plusieurs silhouettes habillées de couleurs vives chantent, accompagnées par les accords mélancoliques d'un accordéon.

Le contraste est saisissant. Après le village de Barovie, ses habitants terrifiés et ses maisons barricadées, ce campement semble provenir d'un autre monde. Un monde où la joie et la musique existent encore.

Un Vistani les aperçoit et leur fait un grand signe de la main, les invitant à se joindre à eux. Puis il se retourne et continue à chanter.

« On y va ? » demande Marcus.

Ils s'approchent prudemment. Les Vistani leur font une place autour du feu et leur tendent des outres remplies d'alcool fort. L'ambiance est chaleureuse, presque euphorique. On rit, on chante, on partage.

Cassius accepte une outre et boit. L'alcool brûle sa gorge. Il tousse, provoquant l'hilarité générale.

« Celui-là ne tient pas l'alcool ! » s'exclame un Vistani en riant.

Gilda boit plus prudemment, savourant le répit que leur offre cette hospitalité. Korven lève son outre en l'honneur de leurs hôtes. Marcus observe, fasciné par la transformation complète de l'atmosphère.

Puis un homme se lève. Il ressemble aux autres — vêtements colorés, bijoux qui tintent — mais il y a quelque chose dans son maintien qui commande l'attention.

« Un puissant magicien est venu dans cette région il y a un an », commence-t-il, sa voix portant dans le silence soudain du campement. « Je me souviens de lui comme si c'était hier. Il se tenait à l'endroit précis où vous vous tenez actuellement. »

Les aventuriers échangent un regard. Le fils du père Donavich. Doru avait parlé d'une expédition contre Strahd.

« C'était un homme très charismatique », continue le conteur. « Il pensait pouvoir motiver les habitants de Barovie pour qu'ils s'opposent au diable Strahd. Il les a stimulés avec ses idées de révolte et les a poussés à se rendre en masse au château. »

Sa voix se fait plus grave. « Quand le vampire est apparu, l'armée de paysans s'est enfuie, terrorisée. Quelques-uns ont tenu bon, mais personne ne les a jamais revus. »

Doru. Doru était l'un de ceux qui ont tenu bon. Et maintenant il pourrit au sous-sol de l'église, se transformant lentement en vampire, affamé, suppliant son père pour du sang.

« Le magicien et le vampire ont usé de leur magie l'un contre l'autre », poursuit le Vistani. « Leur combat a débuté dans les cours de Ravenloft et s'est terminé au bord d'un précipice surplombant les chutes. J'ai vu ce combat de mes propres yeux. »

Il mime les mouvements, ses mains dansant dans l'air. « Le tonnerre a fait trembler le fond de la montagne et déclenché un éboulement sur le magicien, mais il a évité les rochers grâce à sa magie. Des éclairs l'ont frappé, mais une fois encore il a tenu bon. »

Un silence dramatique. « Mais quand le diable Strahd lui est tombé dessus, sa magie n'a pas pu le sauver. Je l'ai vu faire une chute mortelle de plusieurs centaines de mètres. Je suis descendu dans le ravin jusqu'à la rivière pour chercher le corps du magicien. » Il sourit, un peu penaud. « Et voir, vous savez bien, s'il possédait des choses de valeur. Mais l'Ivlis l'avait déjà emporté. »

Il se rassoit sous les applaudissements et les acclamations. Les outres circulent à nouveau. Marcus lève la sienne. « Bien raconté ! »

« Vous savez », dit Korven après un moment, choisissant soigneusement ses mots, « nous venons tout juste du village de Barovie. Toute la région semble affligée par la peur. Les habitants sont terrifiés. Et vous... vous avez l'air joyeux. Comment faites-vous ? »

Le Vistani le plus proche sourit largement. « C'est la Barovie ! C'est comme ça. Les gens sont... » Il cherche ses mots. « Résignés, je suppose. »

« Vous ne subissez pas d'attaques ? »

« Non, nous ne craignons rien. Strahd et nous, on s'entend bien. »

Gilda se redresse, soudain alerte. « Vous êtes alliés à Strahd ? »

« Pas alliés », précise rapidement le Vistani. « Mais son histoire est liée à celle des Vistani. Vous voyez, il descend d'une lignée royale. Il est mort il y a plusieurs siècles et survit sous forme de mort-vivant en s'abreuvant du sang des vivants. Les Baroviens l'appellent le diable Strahd. »

Il prend une gorgée de son outre. « Quand il était vivant et qu'il est venu ici la première fois, il lui est arrivé quelque chose. Les Vistani l'ont recueilli, soigné, aidé. Ils l'ont laissé repartir tranquillement. Il ne l'a jamais oublié. Il ne s'en prend jamais aux Vistani. Il se souvient de ce qu'on a fait pour lui. »

« Vous n'êtes pas vraiment d'ici, alors », observe Marcus. « Vous voyagez. »

« Exactement ! On va en Barovie, on va sur la Côte des Épées, on va où bon nous semble. Nous sommes un peuple de marchands, de conteurs, de voyants. Les brumes ne nous retiennent pas. »

Un autre Vistani s'approche. « Madame Eva vous attend. Vous pourrez aller la voir quand vous le souhaitez. »

« Madame Eva ? »

« Notre chef. L'ancienne. Elle attend dans la grande tente rectangulaire là-bas. »

Ils terminent leurs outres et se dirigent vers la grande tente. Cassius titube légèrement — l'alcool fort des Vistani n'est pas fait pour les mages habitués aux vins raffinés. Korven le rattrape par le bras avec un sourire moqueur.

À l'intérieur de la tente, une table basse recouverte de velours noir trône au centre. Une boule de cristal y est posée, des reflets lumineux étincelant dans ses profondeurs. Une femme voûtée, plongée dans la contemplation de la boule, lève lentement les yeux vers eux.

Sa voix grésille comme un bruissement d'herbes sèches. « Vous voilà enfin. »

Un rire rauque s'échappe de ses lèvres, semblable à un violent coup de tonnerre. « Bienvenue, Gilda. Bienvenue, Korven. Bienvenue Ireena, Cassius, Marcus et Ismark. Bienvenue à tous sous ma tente humble et à notre petit campement. »

Ils se figent. Elle connaît leurs noms. Tous leurs noms.

« Merci », dit prudemment Marcus. « Pouvez-vous nous offrir l'hospitalité pour la nuit ? »

« Bien sûr. Vous êtes les bienvenus. À chaque fois que vous aurez besoin, vous pourrez venir ici et nous vous hébergerons. » Son regard se fait perçant. « Votre groupe est important. Puis-je vous tirer les cartes ? Je pourrais vous raconter votre avenir. »

Korven s'avance, curieux. « Oui, je suis intéressé. »

Cassius hoche la tête. « Moi aussi. »

Mais Gilda secoue fermement la tête. « Non, ça ne m'intéresse pas. Seul Moradin a du pouvoir sur moi. »

Madame Eva sourit, dévoilant des dents jaunies. « Votre dieu n'a aucun pouvoir en Barovie. » Elle dit cela avec douceur, presque avec compassion. « Aucun dieu n'a de pouvoir ici. »

Les mots tombent comme des pierres dans un puits sans fond. Gilda serre les poings mais ne répond pas.

« Rassemblez-vous », commande Madame Eva. « Même si vous ne croyez pas, profitez du spectacle. »

Ses mains ridées se déplacent au-dessus du jeu de cartes, les mélangeant avec une dextérité étonnante. Puis elle commence à tirer.

« La première carte. » Elle la retourne. Ses yeux se révulsent, sa tête se rejette en arrière. Quand elle parle à nouveau, sa voix n'est plus la sienne — c'est quelque chose d'ancien, de puissant, d'autre.

« Il y a une ville où tout ne va pas bien. Vous trouverez là-bas une maison où règne la corruption. Et à l'intérieur, une pièce sombre, pleine de fantômes tranquilles. »

Marcus sort son carnet et note fébrilement. Cassius fronce les sourcils. « Une maison de corruption... Nous venons de quitter une telle maison. La Maison de la Mort. »

« Peut-être », murmure Madame Eva, ses yeux revenant à la normale un instant avant de se révulser à nouveau.

« La seconde carte parle d'une redoutable force protectrice au service du bien. Un symbole sacré qui redonne grand espoir. »

Elle tire. « Un arbre mauvais pousse au sommet d'une colline recouverte de tombes où dorment d'anciens morts. Les corbeaux peuvent vous aider à la trouver. Cherchez là-bas votre trésor. »

« Des corbeaux », répète Korven, se souvenant soudain de l'énorme corbeau noir qui les observait sur la route.

« La troisième carte. » Madame Eva ne rouvre pas les yeux cette fois. « Cette carte parle de puissance et de force. Elle parle d'une arme vengeresse. Une épée de lumière solaire. »

Une arme contre le vampire. Les aventuriers échangent un regard. Une telle arme pourrait changer la donne.

« Je vois un dieu sans visage », continue la voyante. « Il vous attend au bout d'une longue route sinueuse, loin dans les montagnes. »

« La quatrième carte nous éclaire sur celui qui vous aidera grandement lors de votre combat contre les ténèbres. Un allié. »

Elle tire, et sa voix devient presque mélancolique. « Une Vistana erre seule dans cette région à la recherche de son mentor. Elle ne reste jamais bien longtemps au même endroit. Cherchez-la à l'Abbaye Sainte-Marcovitch, près de Kresk. »

Ismark hoche la tête. L'abbaye. La destination ultime si Vallaki ne suffit pas.

« Et enfin... » Madame Eva hésite, comme si elle voyait quelque chose qui la trouble. « La dernière carte. Votre ennemi est une créature des ténèbres dont les pouvoirs dépassent ceux des mortels. Cette carte vous mènera à lui. »

Elle tire une dernière fois. « Je vois une sombre silhouette sur un balcon qui regarde en contrebas cette région torturée. Un sourire malsain aux lèvres. »

Ses yeux reviennent à la normale. Elle regarde le tirage devant elle et hoche lentement la tête. « Intéressant. Vous y arriverez peut-être. »

« Que devons-nous faire ? » demande Marcus.

« Vous savez quoi faire. Mais attention. » Son regard devient sévère. « Certains endroits de Barovie sont plus dangereux que d'autres. Assurez-vous d'être correctement préparés et équipés avant d'essayer de remplir certaines de vos quêtes. »

« Lesquels par exemple ? »

« L'ordre des cartes indique vos priorités. » Elle sourit énigmatiquement. « Maintenant allez. Le feu vous attend. »

Ils sortent de la tente, leurs têtes bourdonnant d'informations. Dehors, les Vistani les accueillent à nouveau avec des sourires et des outres pleines.

Marcus se penche vers ses compagnons. « Elle nous a dit de ne pas en parler à tout le monde. »

« Mais nous devons trouver ces endroits », murmure Cassius. « Peut-être pouvons-nous poser des questions indirectement. »

Korven s'approche d'un Vistani assis près du feu. « Dis-moi, connaîtrais-tu un endroit dans la région... une colline avec un arbre mort, peut-être des tombes ? »

Le Vistani réfléchit. « Une colline avec des arbres morts et des choses maudites ? Ce serait plutôt à l'ouest. Très à l'ouest, bien au sud de Kresk. »

Marcus sort sa carte et la déplie. « Ici ? »

« Peut-être. Mais c'est loin. Et dangereux. »

Gilda s'approche à son tour. « Et une longue route sinueuse dans les montagnes ? Avec peut-être un temple ? »

« Il y a des montagnes au nord », répond le Vistani, « mais il faudrait traverser les bois de Svalich. Sinon, il y a le Mont Ghakis au sud. Il pourrait y avoir un temple là-bas. »

Ils notent tout méticuleusement. Puis l'alcool recommence à circuler. Les chants reprennent. Cassius, déjà affecté par les premières outres, accepte une nouvelle rasade et titube immédiatement après.

« Celui-là il tient vraiment pas l'alcool ! » s'esclaffent les Vistani.

La nuit est tombée — cette nuit rapide de Barovie qui engloutit la lumière dès 17 heures. Les Vistani leur offrent une tente pour dormir. Ils aident Cassius à marcher droit jusqu'à son sac de couchage sous les rires bienveillants de leurs hôtes.

« Il faudra qu'il apprenne à boire », dit Korven avec un sourire. « On ne survit pas longtemps en Barovie avec une telle résistance à l'alcool. »

Mais malgré la légèreté du moment, le sommeil tarde à venir. Les paroles de Madame Eva tournent dans leurs esprits. Une arme de lumière solaire. Une alliée à l'abbaye. Un symbole sacré sur une colline. Et Strahd, sur son balcon, observant sa région torturée avec un sourire malsain.

Le lendemain matin, les rayons du soleil — ces rares et précieux rayons — frappent brièvement le campement Vistani alors que la brume l'entoure partout ailleurs. Un instant de grâce. Puis la brume recouvre tout à nouveau, et c'est le retour au gris, au froid, à l'oppression.

Les Vistani ronflent encore dans leurs tentes. Le campement est silencieux. Les aventuriers ramassent leurs affaires discrètement, ne voulant pas déranger leurs hôtes généreux.

Marcus laisse un petit mot de remerciement accroché à un poteau. « Pour leur hospitalité », explique-t-il.

Ils reprennent la route. Ireena marche entre eux, protégée de tous côtés. Ismark ouvre la marche, sa main jamais loin de son épée.

La route longe la rivière Ivlis, cette même rivière qui a emporté le corps du magicien un an auparavant. L'eau est sombre, presque noire, et son murmure ressemble à un chuchotement incessant.

Ils marchent pendant des heures. Le paysage reste invariablement le même : arbres imposants, brume omniprésente, silence surnaturel. Puis, au détour d'un virage, Marcus s'arrête brusquement.

« Attendez. »

Il s'approche de la lisière de la forêt. Là, à quelques mètres du chemin, une vieille sépulture est visible entre les arbres. Une tombe isolée, abandonnée.

« Je vais voir », dit-il.

Il s'avance prudemment. La tombe a déjà été profanée — le sol est creusé, formant un trou peu profond rempli de boue. De la terre et des cailloux sont éparpillés tout autour. Quelques ossements sont disséminés dans le trou, mais rien d'autre. Rien de valeur. Rien de sacré.

« Quelqu'un est déjà passé par là », constate Marcus en revenant vers le groupe. « Des pilleurs de tombes, sans doute. »

Ils continuent. La route monte progressivement, grimpant le flanc de la montagne. Leurs jambes brûlent avec l'effort. La respiration devient plus difficile dans l'air froid et humide.

Enfin, ils atteignent le sommet. Devant eux se dresse un pont de pierre massif, fait de pierres incrustées de moisissures, enjambant un gouffre naturel vertigineux. Des gargouilles recouvertes de mousse noire sont perchées aux coins du pont, leurs visages renfrognés abîmés par les intempéries.

Du côté de la montagne, une chute d'eau se déverse dans un étang brumeux presque trois cents mètres en contrebas. L'eau rugit en tombant, un bruit constant et assourdissant. L'étang alimente ensuite une rivière qui serpente entre les pins et disparaît dans la brume de la vallée.

« C'est magnifique », murmure Ireena malgré elle. « Et terrifiant. »

Marcus s'avance sur le pont. Ses bottes résonnent sur la pierre ancienne. Puis il s'arrête, scrutant le sol.

Quelque chose brille entre les pierres. Un petit paquet, caché dans les sous-bois près du pont, coincé dans un tronc creux.

« Venez voir. »

Il tire le paquet — empaqueté dans du cuir, fermé par une lanière. Une plume noire d'oiseau y est accrochée, comme si elle s'était simplement posée là.

Marcus ouvre le paquet. À l'intérieur : des vêtements de la taille d'un humain adulte, du style porté par les Baroviens. Propres. Récents. Pas abîmés.

« C'est étrange », dit Cassius. « Pourquoi quelqu'un cacherait-il des vêtements ici ? »

« Ils sont frais », observe Marcus en les examinant. « Quelques heures tout au plus. »

« Quelqu'un ! » appelle Korven vers la forêt. « À qui sont ces vêtements ? Y a-t-il quelqu'un ? »

Sa voix résonne entre les arbres, puis s'éteint. Aucune réponse.

Mais en levant les yeux, Korven aperçoit quelque chose. Sur la cime d'un arbre, un corbeau. Un énorme corbeau, bien plus gros qu'un corbeau ordinaire. Il les observe, immobile, ses yeux noirs brillants fixés sur eux.

« Regardez », dit Korven. « La taille de ce corbeau. »

« Les corbeaux peuvent vous aider à la trouver », récite Marcus, se souvenant des paroles de Madame Eva. « Le symbole sacré sur la colline. »

« Il parle, ce corbeau ? » demande Gilda.

Le corbeau ne bouge pas. Ne dit rien. Observe simplement.

Korven lui fait un signe de la main. Rien. Le corbeau reste là, silencieux, témoin.

« Peut-être qu'il nous guide », suggère Cassius. « Ou peut-être surveille-t-il. Pour Strahd. »

Marcus remet les vêtements où il les a trouvés, avec précaution. « Laissons-les. Ils appartiennent à quelqu'un. »

Ils traversent le pont et continuent leur route. Le corbeau les suit des yeux mais ne les accompagne pas.

La journée avance. Le peu de lumière commence déjà à décliner — ces maudites journées courtes de Barovie. Puis, devant eux, la route se divise.

À l'embranchement, stationnée sur la route qui part vers l'est, se tient une grande calèche noire tirée par deux chevaux noirs. De leurs naseaux sortent de gros nuages de buée qui s'effîlochent dans l'air glacial.

Les aventuriers s'arrêtent net.

La porte de la calèche s'ouvre. En silence. Un silence de tombeau.

Personne ne descend. Pas encore. Mais une voix résonne — neutre, polie, presque chaleureuse.

« Rejoignez-moi dans la calèche. Je peux vous amener dans un endroit sûr où vous pourrez passer la nuit sans problème. »

Ireena devient livide. « Non », souffle-t-elle. « Non, pas lui. »

« Pouvons-nous avoir votre nom ? » demande Korven, bien qu'il connaisse déjà la réponse.

Une main apparaît d'abord — pâle, élégante, aux doigts longs et fins. Puis un homme descend de la calèche. Grand, vêtu d'un costume extrêmement élégant, les cheveux longs et noirs encadrant un visage d'une beauté presque surnaturelle. Ses yeux sont sombres, profonds, et quand il sourit, c'est avec une chaleur qui semble absolument sincère.

« Chers héros », dit Strahd von Zarovich. « Bienvenue en Barovie. Bravo d'avoir réussi à sortir de cette maison abominable. »

Il n'y a aucune trace de menace dans sa voix. Aucune agressivité. Il rayonne de charisme et de courtoisie.

« Je vous invite à dîner ce soir dans mon château. Et peut-être à dormir, si vous le souhaitez. C'est dangereux de dormir dehors en Barovie. »

« Non », dit Ireena d'une voix tremblante. « S'il vous plaît, non. Ne m'amenez pas dans son château. »

Strahd tourne son regard vers elle, et son sourire s'adoucit encore. « Ireena. Toujours aussi... réticente. »

Gilda s'avance, se plaçant entre le vampire et la jeune femme. « Le personnage le plus dangereux de Barovie, c'est vous. »

« Peut-être », concède Strahd avec un haussement d'épaules élégant. « Mais pour le moment, je n'ai aucune ambition hostile à votre égard. Vous ne m'intéressez pas. » Son regard revient sur Ireena. « Une personne parmi vous m'intéresse. Mais je suis patient. »

Il s'approche d'un pas. « Êtes-vous certaine, Ireena ? Vous ne voulez vraiment pas me rejoindre dans mon château ? De grandes choses vous y attendent. Vous vivriez une vie merveilleuse à mes côtés. Vous auriez des serviteurs pour répondre à votre moindre désir. Vous n'auriez plus rien à faire que m'aimer, et je vous aimerais en retour. Éternellement. »

« Non », répète Ireena, sa voix plus ferme maintenant. « Je vous ai déjà dit non. Votre offre ne m'intéresse pas. Je ne veux pas vivre avec vous dans votre château. Laissez-moi tranquille. »

Strahd soupire, mais son sourire ne faiblit pas. « Un jour ou l'autre, vous serez avec moi. Mais je n'insiste pas. » Il se tourne vers les aventuriers. « Ma proposition tient pour vous également. Un simple repas. Rien de plus, si vous le souhaitez. »

« Notre mission est de l'éloigner de vous », dit Korven fermement. « Nous n'irons pas chez vous. »

« Ah. » Strahd hoche la tête.

Gilda intervient, « Je vois. Eh bien, si vous voulez vraiment nous aider... » Elle fait un geste vers la calèche. « Vous pourriez nous prêter votre calèche pour le reste du trajet. »

« Non, ma générosité à des limites. », dit Strahd.

Le vampire fait une courbette élégante. « Continuez vers l'ouest, alors. Mais permettez-moi de vous offrir ma protection pour cette nuit. »

« Votre protection ? »

« Je rentre dans mon château, mais je vous garantis que cette nuit, rien ne vous arrivera. Aucune créature ne vous attaquera. Vous avez ma parole. » Il sourit. « Et mon invitation à dîner tient toujours. N'hésitez pas si vous souhaitez me rendre visite au château. Vous serez toujours les bienvenus. »

Il monte dans sa calèche. La porte se referme en silence. Le cocher fait claquer les rênes, et les chevaux s'ébranlent, tirant la calèche vers l'est. En quelques instants, elle disparaît dans la brume, comme si elle n'avait jamais existé.

Un long silence suit son départ.

« Il avait l'air... sympa », dit finalement Cassius, presque malgré lui.

« C'est un monstre », réplique sèchement Ireena. « Ne vous y trompez pas. Sous ce vernis de courtoisie se cache une créature qui a tué pendant des siècles. »

« Elle a raison », acquiesce Gilda. « Le charme est son arme. Ne l'oubliez jamais. »

La nuit tombe rapidement. Ils décident de camper à l'entrée de la forêt, là où la route se divise. Marcus forme un cercle avec des pierres et allume un feu. Ils mangent leurs rations en silence, chacun perdu dans ses pensées.

« Tu crois qu'il était sérieux ? » demande Korven. « Pour la protection cette nuit ? »

« Une seule façon de le savoir », répond Marcus. « Attendre et voir. »

Ils établissent un tour de garde. Cassius s'endort immédiatement — l'alcool des Vistani n'est toujours pas complètement éliminé de son système. Gilda prend le premier quart, son marteau posé en travers de ses genoux.

Et alors que la nuit s'épaissit, ils les voient.

Des ombres. Juste à la limite de la lumière projetée par le feu. Des silhouettes qui bougent, qui tournent. Certaines semblent canines — des loups, peut-être, ou des choses qui ressemblent à des loups. D'autres sont clairement humanoïdes, mais se déplacent de manière étrange, saccadée.

Elles tournent autour du campement. Encore et encore. Formant un cercle parfait. Mais aucune n'entre dans la lumière. Aucune ne s'approche.

Gilda serre son marteau, prête à l'action. Mais les créatures maintiennent leur distance. Toute la nuit, elles tournent. Gardant. Protégeant.

Strahd a tenu parole.

Au matin, quand la lumière grise revient, les créatures ont disparu. Mais dans la boue autour du campement, un cercle parfait de traces demeure. Des empreintes de pattes. Des empreintes de pieds nus. Et d'autres marques, étranges, que personne ne peut identifier.

« Il nous a protégés », murmure Marcus, incrédule. « Il a réellement envoyé ses serviteurs nous protéger. »

« Ce qui rend la chose encore plus inquiétante », dit Gilda. « Il pourrait nous tuer à tout moment. Mais il choisit de jouer. De nous laisser croire que nous avons une chance. »

Cassius se réveille avec un mal de tête carabiné. En rêvant, il était retourné dans cet endroit blanc et brumeux. L'entité encapuchonnée était là, toujours de dos, toujours inaccessible.

« Qui êtes-vous ? » avait-il demandé.

« Votre ami. Votre allié. »

« Pouvez-vous nous aider ? Nous avons besoin d'atteindre Vallaki en sécurité. »

« Il faut que tu t'en montres digne. Mais je ferai ce qui est en mon pouvoir. » Une pause. « Tu aurais pu accepter l'invitation de Strahd. Rares sont les aventuriers qui refusent une telle offre. »

« Nous l'avons refusée. »

« Je sais. C'est bien. »

Puis Cassius s'était réveillé.

Il raconte son rêve aux autres pendant qu'ils lèvent le camp. « C'était comme après ma mort. La même voix. La même présence. »

« Une entité qui veut que nous résistions à Strahd », réfléchit Marcus. « Qui nous a ressuscités. Qui nous guide. Mais qui refuse de se montrer. »

« Les dieux n'ont pas de pouvoir en Barovie », rappelle Gilda avec amertume. « Madame Eva l'a dit. Alors qui... ou quoi... est cette entité ? »

Aucun d'eux n'a de réponse.

Ils reprennent la route, suivant le chemin qui serpente vers l'ouest, vers Vallaki, vers l'espoir d'un refuge. Derrière eux, invisible dans la brume mais toujours présent, le Château Ravenloft observe de son promontoire.

Et quelque part dans ses tours gothiques, Strahd von Zarovich sourit.

Le jeu continue.